Après (500) jours ensemble, The Spectacular Now et surtout l’horrible Nos étoiles contraires, le tandem de scénaristes Scott Neustadter et Michael H. Weber continue de creuser son sillon de la comédie romantique adolescente raidie dans un simulacre d’excentricité. Adaptation, comme Nos étoiles contraires, d’un roman de John Green, La Face cachée de Margo présente des traits tristement familiers : personnages enduits d’un vernis de sophistication (biographique, verbale) qui, au lieu de les rendre intéressants, étouffe leur accents d’authenticité humaine ; idées simplistes brandies en slogans publicitaires moteurs de l’intrigue (ici, « Il faut savoir se perdre pour se trouver » : super, il suffisait d’y penser !) ; réalisation à l’avenant qui enrobe servilement et sans grâce ces artifices. On pourra trouver La Face cachée de Margo moins immédiatement antipathique que Nos étoiles contraires, eu égard à quelques détails : en particulier, les personnages secondaires paraissent moins réduits à des faire-valoir creux, acquièrent un semblant de substance et d’autonomie envers les ornières du personnage principal ; et puis, ce film-ci joue moins agressivement la posture de supériorité culturelle. Elle est là, néanmoins, cette autosatisfaction pour la sophistication des personnages et les idées malignes et érudites du scénario ; on la trouve dans la façon qu’a le film de revenir sur ses détails les plus recherchés avec un empressement qui finit par gêner. Mais on retrouve surtout, derrière cette façade de divertissement un peu prétentieux, la présence d’un fonds de commerce dont on se méfie.
Margo, c’est une belle jeune fille vagabonde, nimbée de mystère et sur laquelle son entourage entretient une légende pour le moins éthérée. C’est surtout la voisine et l’ancienne amie d’enfance de Quentin, jeune homme trop discret qui en est tombé amoureux sans le lui dire, avant que le temps ne les éloigne l’un de l’autre. Une nuit, alors que les années de lycée de Quentin s’achèvent, Margo débarque par la fenêtre de sa chambre et lui demande un mystérieux service, ce qu’il accepte avec une hésitation qui ira décroissant. Après cette nuit qui leur aura offert un peu d’action, de transgression excitante et une occasion de se rapprocher, Margo disparaît subitement, non sans laisser à l’attention de Quentin quelques traces qui finissent par ressembler à un grand jeu de piste à travers la côte est des États-Unis pour la retrouver, en dépit de toutes les obligations qui devraient le retenir chez lui.
Paper people
Une romance adolescente teintée d’aventure dans l’Amérique du quotidien : belle promesse ! Pourtant, quelque chose, dans la romance comme dans l’aventure, refuse de nous embarquer, nous tient en respect comme si notre tentation de spectateur de nous immiscer dans cette quête amoureuse était de trop. Quelque chose sonne faux. Le supposé objet du désir, en particulier, pose problème : hors des présupposés du scénario, impossible de croire en une romance impliquant un personnage comme Margo. Celui-ci s’avère trop écrit, trop mis à distance de l’appréhension humaine (celle des autres personnages comme celle du spectacle), inaccessible non de par sa nature mais parce qu’il a été conçu comme tel et voué par les auteurs à demeurer en surplomb des autres. Il vient d’ailleurs à l’esprit que si le rôle de Margo a échu à une jeune mannequin en vogue, Cara Delevingne, c’est sans doute pour se conformer (de façon quelque peu publicitaire) à l’image d’une créature éthérée et peu accessible. Mais le refroidissement des ardeurs ne s’arrête pas là : Margo non seulement se dérobe au désir de l’autre, mais le détourne. À Quentin (et à travers lui, à nous), elle ne cesse d’asséner que ce n’est pas vraiment son amour qu’il cherche chez elle, mais une voie pour sortir de sa coquille conformiste, pour grandir et faire des choix audacieux dans sa vie. Elle s’avère moins le love interest que le mentor de Quentin, et par sa voix, le désir amoureux se voit ainsi, avec insistance, minimisé car aiguillé vers quelque chose de moins intime et plus neutre, grimé en leçon de vie toute faite, voire en morale pesante (on voit l’intérêt d’une maxime lénifiante comme « Il faut savoir se perdre pour se trouver » à sortir au moment opportun) — détournement définitivement acquis à la fin du film, malgré le baiser de pure convention qu’ils se concéderont l’un à l’autre.
On pourrait objecter que le film ne partagerait pas vraiment cette répression sexuelle induite par sa créature, qu’il la contredirait en plusieurs occasions et se montrerait ainsi du côté de celui qui désire, fût-ce un désir à sens unique. On pense en particulier aux indispensables sidekicks du héros, deux potes de lycée : Ben, sans petite amie, clame à tout bout de champ son envie de perdre sa virginité, tandis que Marcus dit « Radar » est engagé dans une relation sérieuse vis-à-vis de laquelle il n’est pas complètement à l’aise. Mais à la longue, il s’avère que ces personnages accréditent eux aussi, à leur manière, le discours moraliste ambiant. Ben, pour s’être bien comporté avec une fille, obtient l’assurance de sortir avec elle ; quant à Radar, pour avoir été honnête avec sa petite amie, il aura droit à des étreintes à la belle étoile. Même dans ces situations où sa présence est manifeste, le sexe, en désir et en acte, est ramené à une seule dimension de récompense ou d’accomplissement, sans que les questions plus troublantes encore qui l’entourent, comme les tentations ou les attirances qui se nouent entre les uns et les autres, soient abordées autrement que comme de sèches conventions scénaristiques. On se souvient que Nos étoiles contraires s’offrait des échappatoires à un vrai regard sur le monde en s’appuyant sur des personnages s’offrant eux-mêmes des échappatoires à leurs pénibles conditions. La Face cachée de Margo, lui, fait sien le refrènement de son elfette aux allures de femme, et l’étend en une réglementation discrète mais consciencieuse des ardeurs de chacun.
Le péril jeune
Ce puritanisme sournois en filigrane de La Face cachée de Margo (d’autant plus sournois qu’il fait mine de ne pas être prude) paraît d’autant moins une vue de notre esprit qu’il s’inscrit dans une tendance bien connue du cinéma hollywoodien actuel visant le public adolescent (ou young adults, comme on commence à les appeler). Quand il s’agit de programmer un large succès auprès de ce jeune public, certains producteurs et scénaristes se méfient de tout ce qui pourraient ressembler à plus que de nobles sentiments suivis d’un baiser et éventuellement de l’acte sexuel : une certaine réalité, troublante et pas si facile à accepter, des désirs. Alors ils s’empressent de neutraliser la menace sous un boisseau de dérivatifs parfois séduisants mais surtout inoffensifs, tels que « l’amour au premier regard », la culture (spécialisée ou non), les slogans fédérateurs… Un solide contexte fantastique distrayant peut aussi faire l’affaire : les univers dystopiques marchent bien en ce moment (cf. les Hunger Games, Divergente…). Concernant les producteurs de La Face cachée de Margo et de Nos étoiles contraires, leur société Temple Hill Entertainment a précisément fait son trou ces dernières années dans le divertissement sérieux pour young adults, en y commençant par une franchise bien juteuse : Twilight, imparable exemple de récit de tourments sexuels anesthésiés sous l’épais vernis des raccourcis pseudo-romantiques et du fantastique pontifiant. Il n’y a pas de coïncidence. Il n’y a pas non plus de plaisir à assister à pareille entreprise d’escamotage : subsister à tout ce qui pourrait parler authentiquement à notre intimité une soupe fadasse faussement épicée et censée contenter tout le monde.