La Femme de Tchaïkovski est peut-être à ce jour le Serebrennikov le plus digeste, le cadre du biopic tempérant sans doute légèrement ses ardeurs de cinéaste foufou. Mais cette relative épure met aussi plus crûment en lumière les limites de sa mise en scène, qui abonde ici en plans séquences performatifs à la gratuité presque assumée. Surgit même devant plusieurs séquences le sentiment que Serebrennikov flirte avec un académisme endimanché. Or, et c’est là que le film intrigue tout de même un peu, cet académisme paraît s’inscrire dans une stratégie consistant à glisser sporadiquement quelques éléments ou effets à même de casser le ronron du récit et de la forme. En témoigne la récurrence des mouches venant parasiter les scènes, sur un plan sonore (bzzzz) et parfois dramaturgique (celle qui vient se fixer sur le nez de Tchaïkovski lors du premier véritable entretien avec sa future épouse).
Elles incarnent surtout la folie rampante d’Antonina, toujours là, plus ou moins discrètement, alors que s’enlise son mariage de façade avec le compositeur russe, qui n’accepte cette union que pour faire taire les rumeurs circulant sur son homosexualité. Un autre récit se dessine alors dans les plis du chemin de croix, annoncé dès la scène d’ouverture, de la pauvre Antonina : un conflit entre le « génie » et la « normalité », où il s’agit moins de confronter binairement Piotr à sa femme que d’envisager son talent comme une puissance de dérèglement, voire de pourrissement. Il y a de la folie dans le génie et du génie dans la folie, semble nous dire le cinéaste – d’où son goût pour les freaks, qui s’exprime notamment dans une scène de crise de démence prenant les traits d’une performance artistique. Si bien que le film trouve une forme cohérente, à défaut d’être convaincante, où séquences amidonnées et tics formalistes (la chorégraphie finale, où l’on sent que le naturel m’as-tu-vu de l’auteur revient au galop) se combinent assez naturellement. C’est son principal mérite : La Femme de Tchaïkovski révèle plus nettement encore le vide intrinsèque de ce cinéma de la gesticulation.