Attention, cas clivant : on ne doute pas que certains verront dans l’interminable pensum de Kirill Serebrennikov un grand magma de formes et un concentré de « cinéma » avec un grand C. Il est vrai que La Fièvre de Petrov gesticule beaucoup, en télescopant des petites scènes déconnectées les unes des autres, et des bouts de récit qui, petit à petit, s’interpénètrent (le film a une structure, quand bien même elle serait tortueuse). Dans une lumière tantôt verdâtre, tantôt mordorée ou bleutée, le cinéaste russe accumule des vignettes à mi-chemin entre les films d’Emir Kusturica, de Michel Gondry (les incrustations animées, déjà présentes dans Leto) et de Terry Gilliam. Bref, c’est un cauchemar d’hystérie et de fantaisie rance, de poses cool et maniérées, d’audaces en carton-pâte (le long segment en noir et blanc à la toute fin, moins harassant mais plastiquement sans grand intérêt). Un exemple pour illustrer le type de trouvailles idiotes et pénibles qui émaillent le film : à plusieurs reprises, des personnages perdent leurs vêtements d’un plan à l’autre, pour mieux les retrouver par la suite, sans que l’on sache trop ce que cette nudité temporaire apporte. Pure caprice, elle s’inscrit dans un déluge d’effets – notamment des plans baveux, comme filmés depuis un aquarium, d’une laideur confondante. S’il était possible de se laisser séduire par le charme de Leto, cette purge devrait normalement (mais les réputations d’auteur qui se forgent à Cannes échappent parfois à toute logique) faire dégonfler la baudruche Serebennikov.