Une femme, sur une route, heurte quelque chose, ou quelqu’un. Elle ne s’arrête pas pour voir quoi, la scène reste hors champ. Tout comme la totalité du film : hors champ lui aussi, ailleurs, sans intérêt, sans travail sur les personnages. Une immense déception doublée d’un ennui profond.
Il y a des films dont on se demande bien comment ils se sont retrouvés dans la compétition officielle cannoise. Car le dernier film de Lucrecia Martel, réalisatrice argentine des pourtant réussis La Ciénaga (2002) et La Niña Santa (2004), est parfaitement raté et dégage un ennui profond. L’histoire est celle de Veronica, femme bourgeoise, sans problèmes, mariée, bonne situation, enfants heureux, mari gentil. En revenant en voiture de chez une amie, elle heurte violemment quelque chose sur la route. La caméra ne montre pas quoi. Tout le film se déploie ensuite autour des tourments de l’héroïne, qui ne descend pas de voiture après l’accident mais revient sur les lieux avec son époux pour y trouver un chien mort. L’histoire ne s’arrête pas là, puisqu’on découvrira par la suite qu’un cadavre a été retrouvé pratiquement au même endroit.
Film policier, donc ? Non, pas du tout, puisque le film ne met en scène aucune enquête policière. Film psychologique, centré sur les angoisses de cette femme ? C’est ce que La femme sans tête voudrait visiblement être. Sauf, problème majeur lorsqu’on décide de tenir un tel propos, qu’on ne rentre jamais dans la tête de cette « femme sans tête ». Lucrecia Martel la montre dans son quotidien, en famille, au travail, avec ses amis. Et si on perçoit bien que l’héroïne est perturbée, la mise en scène se noie dans un foisonnement de personnages tous plus insignifiants les uns que les autres. Tout se passe comme si la réalisatrice avait oublié de dramatiser son intrigue. Que veut-elle dire ? Où veut-elle en venir ? Aucune scène ne sort du lot, tout se déploie dans une platitude peut-être voulue et, finalement, le personnage ne réussit pas à provoquer, si ce n’est de l’empathie, au moins de l’intérêt.
La fin du film est plus intéressante, mais on n’en finit pas de se demander pourquoi Lucrecia Martel n’a pas emprunté ce chemin plus tôt. Dans cette dernière partie, on se réveille soudain et on croit comprendre un « message » du film. Ce « message », pour peu qu’il soit celui que veut transmettre la cinéaste, tant elle déroute par son absence de direction, est profondément déplaisant. Découvrant que la personne tuée au même endroit que le chien est un enfant d’un village pauvre, Veronica s’emploie a vérifier qu’aucune trace de son passage dans cet endroit n’est visible : rien à l’hôpital, rien à l’hôtel dans lequel elle a dormi après l’accident. Soulagée, elle retrouve ses amis dans le restaurant. Le film s’arrête là. Et nous avec. Le film veut-il nous dire que les bourgeois peuvent continuer de vivre tranquille, puisque les enfants des pauvres meurent en silence ? Qu’adviendra-t-il de cette héroïne dont on n’a rien perçu ?
Décidément non, cette Femme sans tête n’intéresse jamais. Un grand vide qui, en plus d’être ennuyant du début à la fin, est tellement déroutant qu’on se demande pourquoi Lucrecia Martel s’est emparée de la caméra.