Film réalisé et soutenu par la jeune génération, du cinéaste aux scénaristes (avec Alexandre de La Patellière et Julien Rappeneau) en passant par les acteurs (Patrick Mille, Guillaume Gallienne), La Jungle s’essouffle rapidement en tentant de convaincre du bien-fondé de l’intrigue et en laissant de côté tout enjeu cinématographique.
Vincent Larcher (Patrick Mille) est un insupportable mais charmant petit fainéant, fils à papa (Guy Bedos) et grand profiteur devant l’Éternel. Depuis l’enfance, il ne peut vivre sans la présence de Mathias Warkhevytch (Guillaume Gallienne de la Comédie Française) qui, lui, tente d’achever sa thèse. Ils partagent le même appartement, celui de papa Bedos, mais ne peuvent décemment payer le loyer. Ces premières minutes du film ne jouent guère sur l’empathie et nous n’avons aucun mérite à ne pas apprécier ces deux bourgeois plutôt antipathiques. C’est dire que ce pari stupide – tenter de survivre dans Paris avec 7 euros en poche pendant sept jours et sept nuits – n’emporte que peu l’adhésion. Il ne s’agit ici nullement de dénoncer la condition misérable des clochards – les deux comparses n’en croiseront pas un seul –, ni de montrer la dureté de la rue, encore moins ses petits bonheurs ou grands drames, mais de sonder les égos de Vincent et de Mathias. L’horizon est donc restreint, l’ouverture au monde, nulle et non avenue. Paris n’est d’ailleurs qu’à peine filmé, les plans d’ensemble sont évités soigneusement et les personnages, qui errent de Beaugrenelle à Montorgueil, ne s’incluent jamais dans les lieux. Bien au contraire, ils n’arrivent absolument pas à trouver leur place, changent de quartier comme d’appartement, exclus de tout mais assurés de retrouver le bercail et d’excellentes conditions de vie après sept jours. Bref, la rue ne veut pas d’eux et cette idée, pas si bête, n’est guère prise en compte par le réalisateur. Le reste de l’histoire est une suite de sketches qui doit permettre à Vincent et Mathias, trente ans passés, de s’initier aux sentiments (de l’amour à la trahison). La rencontre avec d’autres individus (des sourds-muets qui vont leur faire des misères, une jeune femme pas si laide, ou un vigile délicieusement campé par Abdelhafid Metalsi) n’est que prétexte et n’offre finalement aucun appui narratif à l’évolution du récit.
Charles Chaplin avait eu un jour cette phrase admirable : « La tragédie, c’est la vie en gros plans et la comédie, la vie en plans d’ensemble. » Et avant même de commencer à imaginer les ressorts comiques, tout cinéaste se doit d’insuffler une vie animée et délicatement humoristique au cœur du récit filmique. Ici – et cela est patent dès les premières minutes – Matthieu Delaporte filme sa comédie en plans rapprochés, serrés. Il colle aux dialogues sans aérer son cadre à la drôlerie de la scène. Pas de second plan, d’arrière-fond, ni de démarches singulières. Il tient là deux acteurs intéressants dont un qui possède un déhanché dans la lignée du burlesque. Le cinéaste n’arrive manifestement pas à utiliser toutes les potentialités de cette paire d’amis improbables. La Jungle lorgne plutôt du côté de la comédie de boulevard que du cinéma. Pourtant, deux séquences sont particulièrement prometteuses : une, loufoque, lorsque Vincent se coince la mâchoire (ici, le cinéaste a donné un point de vue d’ensemble de la scène) et l’autre, décalée, quand les deux infatigables tombent sur un vigile fou amoureux du scrabble (scène qui tient surtout par les incessants regards jetés les uns sur les autres, sans dialogue).
En espérant que le deuxième long métrage de Matthieu Delaporte ne restera pas au seuil d’une idée narrative et concrétisera cinématographiquement les espoirs qui surgissent par moments.