Moins d’un an après la sortie du deuxième volet des Trois Mousquetaires (et de son succès en salle à relativiser), Pathé poursuit son « Dumas Cinematic Universe » avec Le Comte de Monte-Cristo. Portée par un casting moins pléthorique, mais peut-être plus avisé – venus du théâtre classique, Niney et Lafitte s’approprient avec davantage d’aisance que Civil, Cassel, Marmaï ou Duris la prose compassée de Dumas –, la vengeance d’Edmond Dantès est ici dépliée dans un seul film de trois heures (moitié moins que les six que lui avait consacrées Josée Dayan pour son adaptation télévisée). Cette version est dès lors plus ramassée, ou du moins épouse davantage une structure en ligne droite : le valeureux mais naïf capitaine marseillais se transforme en quelques séquences, et un (trop) rapide détour par la prison d’If, en un redoutable vengeur masqué. Situation initiale, élément perturbateur, résolution : l’efficacité narrative s’impose au détriment des circonvolutions politiques et de la sensation du temps qui passe. Cette concision du récit pousse les scénaristes Delaporte et De La Patellière, passés cette fois derrière la caméra, à recourir un peu abusivement à un appareil explicatif (avec de nombreux récits rétrospectifs) prenant soin de résumer toutes les relations entre les personnages et de rendre parfaitement lisibles leurs intentions. Il en va ainsi des stratagèmes du comte, souvent expliqués en même temps qu’ils se déploient, par la magie du montage parallèle.
Comme dans le roman de Dumas, la mécanique vengeresse du comte de Monte-Cristo s’articule surtout autour d’un jeu de déguisements ; tout converge vers l’émotion d’un dévoilement, et le trouble suscité par le surgissement d’un revenant. Beau problème pour un film dont l’attraction principale est sa star : comment grimer et dissimuler, sans verser dans le ridicule, un visage aussi reconnaissable (et aux traits aussi juvéniles) que celui de Pierre Niney ? On garde en mémoire Depardieu enlevant avec panache sa perruque et son gros nez factice chez Dayan ou, plus récemment, les perruques et autres fausses moustaches d’Omar Sy dans la série Lupin. Les cinéastes semblent ici un peu gênés aux entournures et évitent de s’appesantir sur les autres fausses identités de Dantès pour s’en tenir à l’aura gothique du comte, qu’il s’agit de ne pas décrédibiliser : aucune scène ne joue vraiment du vertige du masque qui tombe. Cette incarnation du comte de Monte-Cristo se livre ainsi d’un bloc, comme une version assombrie de l’acteur lui-même – son masque s’accorde d’ailleurs avec ses traits, tout en leur conférant un air plus âgé et plus dur. On peut aussi voir dans le fétichisme qui entoure ce « costume » la marque d’une certaine super-héroïsation. Ce n’est pas pour rien que Niney souligne à chaque interview la filiation avec Batman. Ce Monte-Cristo emprunte beaucoup à l’homme chauve-souris version Nolan : son sérieux, ses muscles et ses faux atermoiements moraux – le film n’interroge qu’en surface (une scène, et puis c’est tout) le bienfondé de sa vendetta. L’horizon de cette nouvelle adaptation se dessine platement ; il s’agit avant tout de lisser la figure, autrement plus tourmentée chez Dumas.
Aussi insipide que soit sa mise en scène (par exemple l’usage redondant des plans larges noyés par des violons, qui forcent la note épique), il faut reconnaître que le film glisse tout seul, à l’instar de ces images de drones survolant une mer Méditerranée éclatante de couleur. Le plaisir feuilletonesque reste palpable, relevé par quelques séquences vaudevillesques, avec leur lot de révélations et de quiproquos propices au déploiement du sens comique des acteurs. Ainsi de ce dîner organisé par le comte, où le piège se referme lentement sur les personnages par l’entremise du seul talent logorrhéique de Niney. Acteur ambivalent, à la persona joyeuse et volubile (notamment dans l’exercice de la promotion, qu’il paraît affectionner), Pierre Niney chérit pourtant les rôles opaques et mystérieux (Mascarade, Boite Noire, La Promesse de l’aube, Frantz). Difficile de ne pas voir dans ce Monte-Cristo un vaisseau bâti pour offrir au comédien un grand rôle dramatique, supposé révéler son épaisseur de jeu, jusqu’au masque, donc, qui semble avoir été sculpté pour que le visage de l’acteur ne s’efface pas sous les traits du personnage. À l’image de ses brassées sans accrocs dans l’eau azur de la mer, Pierre Niney ne donne toutefois jamais l’impression de pouvoir plonger dans les abysses obscurs qui cernent son personnage. La trop grande limpidité du film donne même à son jeu (phrasé chuchotant, regard fixe, visage sombre) un air un peu forcé.