« Je voulais faire un film d’amour. » Telle était l’intention d’Amor Hakkar lorsqu’il a imaginé La Maison jaune. C’est en faisant le portrait détaillé d’une famille algérienne frappée par le deuil que le réalisateur réussit largement son pari. Toutes les difficultés et la cruauté de l’Algérie paysanne des Aurès sont exposées, sans pour autant tomber dans le larmoyant, et en ne gardant à la fin qu’une immense sensation de chaleur humaine, douce et rassurante.
Lorsque Belkacem meurt brusquement dans un accident, ce sont ses parents et ses trois petites sœurs qu’il plonge dans une profonde tristesse. Sans attendre et bravant tous les obstacles, Mouloud, le père paysan et modeste des Aurès de l’est algérien, part récupérer le corps de son fils et s’attelle, avec l’aide de sa fille aînée, à redonner à sa femme plongée dans le désespoir un peu de sourire.
D’entrée de jeu, le ton noir et dramatique est donné. C’est en commençant par une sorte de « road movie », sur des airs traditionnels et des chants chaoui (qui lui ont valu le prix de la meilleure musique au festival de Valencia), qu’Amor Hakkar dessine une Algérie aux paysages arides, aux montagnes desséchées dénuées de toute végétation, arpentées de routes sinueuses et poussiéreuses. À la fois attachant et bouleversant, il se charge avec brio de l’interprétation du rôle de Mouloud. Il avance obstinément au volant de son mini tracteur qui rappelle, par son bruit et sa lenteur, la tondeuse à gazon de Lynch dans Une histoire vraie qu’enfourche un vieillard pour rejoindre son frère avant de mourir. Sauf que là, c’est dans la quête d’un fils déjà mort que le spectateur est plongé.
Avec une réalisation assez détaillée, composée de plans qui tirent en longueur pour observer l’intégralité des mouvements, Hakkar réussit à mettre en place une pudeur et un respect des personnages qui nous serrent le ventre. Une pudeur mise en avant par une utilisation modérée de gros plans, jugés trop souvent indiscrets. Même l’annonce de la mort de son fils se fait avec une délicate retenue puisque Mouloud reste dos à la caméra. La déformation de son visage provoquée par sa douleur reste alors à l’abri des regards voyeuristes des spectateurs pour ne donner qu’un cri de souffrance qui brise la sérénité sonore de ce « no man’s land ».
Dans cette œuvre, c’est indéniablement l’enfant du pays qui parle. Car si Amor Hakkar quitte ses Aurès natales à l’âge de 6 mois pour Besançon, c’est un retour douloureux au pays qu’il effectuera en 2002 afin d’y conduire le corps de son père. Anéanti de douleur, il est cependant fasciné à cette époque par les témoignages d’amour des gens de ce pays qu’il ne connaissait pas. Ces regards de compassion, ces mains tendues et pourtant anonymes de ces hommes et de ces femmes qui lui ressemblaient. C’est cette chaleur humaine que l’on retrouve dans son film. La compassion est soulignée par une succession d’aides que Mouloud reçoit tout au long de la route qui le mène à son fils. D’une lanterne offerte par un brigadier afin de continuer son chemin malgré la nuit noire, à des « Paix à son âme » à profusion tel un leitmotiv religieux. Tout ceci décrivant une culture de paix qui a un tel respect de la mort, que chacun prend en charge la douleur du père. La douleur de la mort semble alors quelque peu désamorcée par tout cet amour gratuitement donné.
L’amour des inconnus, mais aussi celui qui règne au sein de cette famille. Car Mouloud et sa fille mettent tout en œuvre pour redonner à la mère, murée dans une tour de souffrance, l’envie de se reconstruire. Le titre du film provient d’une de ces initiatives : repeindre, sur les conseils d’un pharmacien, leur maison familiale en jaune. D’un point de vue politique, c’est une tout autre image qui est enfin donnée. Car si les images de notre quotidien montrent bien plus souvent une Algérie aux rapports hommes-femmes déséquilibrés, aux femmes voilées dont la soumission les pousse à se plier aux exigences des hommes de leur foyer, Hakkar démontre par cet élan d’amour que la complémentarité entre homme et femme, entre mari et femme existe évidemment encore dans un pays dit « arabo-islamique ». Ce film d’amour est une jolie lueur d’espoir dans un milieu pourtant si délicat à aborder.