Troisième long-métrage du cinéaste franco-algérien Amor Hakkar (notamment auteur de La Maison jaune), Quelques jours de répit, sélectionné au festival de Sundance, se concentre sur un trio, deux hommes et une femme. Il décrit avec pudeur leurs émotions, qui passent par les regards, les déplacements des corps, les rares dialogues, exigeant du spectateur une attention soutenue à leurs infimes variations. Malgré la finesse engendrée par le minimalisme, et un casting riche car éclectique, le film ne parvient pas tellement à prendre de l’ampleur. Ce qui se joue entre les deux hommes aurait pu avoir plus de force, et l’on reste à distance du personnage féminin qui, interprété de façon théâtrale par Marina Vlady, fige ce que l’on aimerait plus aérien, flottant.
Point de départ du film, une photo trouvée dans la presse, représentant deux iraniens homosexuels condamnés à la peine de mort. Hassan (Samir Guesmi) et Moshen (Amor Hakkar) ont fait le choix de l’amour. Puisqu’ils ne peuvent s’aimer dans leur Iran natal, ils entrent en France clandestinement. À la gare d’un village de Franche-Comté où ils attendent un train pour Paris, arrive Yolande (Marina Vlady), une sexagénaire solitaire. Un bref échange avec Moshen suffit pour la marquer. Elle lui propose de l’embaucher pour repeindre les murs de sa maison. Moshen passe quelques jours dans le village de Yolande. Hassan se cache mais il le suit, l’observe, à distance.
Amor Hakkar opte pour un traitement des plus minimalistes. Il se concentre sur ses trois personnages qui ne croisent presque personne, nous permettant ainsi une attention soutenue à leur égard. Les dialogues sont rares. On ne sait pas grand chose du passé des personnages, car seule importe leur façon d’habiter le présent. La mise en scène ne prend jamais le pas sur le jeu des comédiens. Les émotions sont denses mais elles restent ténues : jamais explicités, les ressentis s’appréhendent à travers les regards, les silences. Ainsi qu’à travers les déplacements et les positionnements des corps, moyen le plus éloquent dont est donnée la relation entre Hassan et Moshen.
La force de l’amour entre les deux hommes, indéniable, n’en est pas moins teintée d’angoisse et d’amertume. Hassan sait que si, à Téhéran, le train n’était pas parti en retard, Moshen ne l’aurait pas attendu, et il observe ensuite d’un œil inquiet son rapprochement avec Yolande. Moshen, d’un âge avancé, voit sans doute en la jeunesse d’Hassan une menace d’abandon. C’est ainsi un panel d’émotions complexes qui nous est donné à déchiffrer. Malgré tout, le film ne parvient pas tellement à décoller. On aimerait être davantage déroutés par la relation entre les deux amants, intrigués par des sentiments plus ambigus. L’éclectisme du casting est judicieuse : Moshen est interprété par le cinéaste, Hassan par Samir Guesmi, vu tant dans des films à gros budgets (Hors-la-Loi) que dans des films intimistes (Andalucia), Yolande par Marina Vlady (qui après avoir joué chez Godard, Orson Welles, Robert Hossein, Jean Delannoy…, se consacre au théâtre et à la télévision). La finesse de jeu de Samir Guesmi, tout en retenue, nous séduit, mais on reste à bonne distance de l’interprétation trop théâtrale de Marina Vlady. Tendant à surjouer des émotions que l’on aimerait ténues, elle dégage en outre une raideur qui pétrifie le film. Son comportement, trop limpide, ennuie.
La Franche-Comté n’est pas uniquement une toile de fond, le village, la campagne, ont une réelle existence. Au-delà de cet ancrage bien français, le film convoque un ailleurs, l’Iran. Et au-delà de sa concentration sur des problématiques intimes, il évoque le problème de la répression iranienne et celui de l’immigration clandestine. C’est délicatement que notre attention aux individus s’ouvre sur les problèmes plus vastes qui les occupent. La menace de mort qui pèse sur les deux hommes en Iran, évoquée dès le début, n’est ensuite plus mentionnée, elle est intégrée aux personnages, de même que leurs espoirs et leurs craintes corrélatifs à leur statut de clandestins. Ce qui marque le plus n’est pourtant pas le statut des Iraniens débarqués en France mais les problématiques plus universelles de la solitude, de l’amour, des choix face auxquels il met les personnages et qui, par leur radicalité, confèrent une certaine ampleur au film.
Simplicité de la trame, jeu ténu des deux acteurs, rareté des dialogues, discrétion de la mise en scène… on salue ici la cohérence générale, et l’atypique cohabitation du calme et du drame que chaque situation fait ressentir. S’il aurait pu les mener plus loin, Quelques jours de répit, film courageux qui a dû faire avec des moyens très réduits, propose quand même de jolies choses.