Dans sa note d’intention, Karin Albou explique qu’elle souhaite montrer « deux sœurs qui développent chacune face au désir un alibi différent, l’une la pensée, l’autre le discours religieux ». Le traitement de ces deux cheminements (entre identité, sexualité et religion) se démarque par son intelligence et sa délicatesse ; mais il n’échappe pas à un côté « trop sage » aussi bien dans le scénario (narration très classique avec rebondissements et coups d’éclat) que dans la forme (trop de musique, couleurs un peu sombres mal à propos).
La Petite Jérusalem, c’est le nom du quartier juif de Sarcelles dans lequel vivent Laura et sa famille. Karin Albou a le mérite de proposer ici une lecture intime et charnelle des liens entre pragmatisme et théorie religieuse, autrement dit de renvoyer à la tension entre loi divine et le « comment bien agir ». C’est pourquoi le film privilégie le thème de la recherche identitaire au sein d’une communauté : les rites et les traditions juives sont vécues de l’intérieur et c’est ce qui permet de lancer la machine-cinéma, fraîche d’une nouvelle variation autour du moi. Cette introspection n’équivaut pourtant pas à un repli communautariste : la cinéaste a le souci de restituer le contexte socio-politique (2002 en banlieue parisienne) mais l’originalité de sa démarche tient dans la réflexion intime, introspective de la mutation d’une même communauté.
Pourtant, l’entrée en matière manque d’une mise en situation concrète et efficace : Laura étudie la philosophie et cherche à concilier ses désirs et la loi hébraïque. Il semblerait que ce soit la philosophie qui la réveille de son « sommeil dogmatique ». Cette approche est ampoulée, ronflante, d’abord parce qu’au cinéma on veut comprendre par les images et le son, non par des discours pédagogiques (montrer au lieu de dire). On peut trouver agaçants ces cours de philosophie qui n’existent qu’au cinéma, dans lesquels les profs, tout en pérorant sur la biographie de Kant, en profitent pour glisser entre deux boutades la problématique du film : est-on libre dans le cadre de la loi, ou en la transgressant ? En outre, il faut être drôlement naïf pour encore penser que l’on s’insurge contre sa famille (et donc contre sa religion) en faisant de la philosophie (mais bon, il est vrai que l’on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans…). La faute aussi à un scénario académique, balisé, bougrement propre qui reprend des situations un tantinet stéréotypées (la liaison de Laura et Djamel par exemple). Occasion tentante de tartiner le jeu des acteurs d’un brin de naturalisme.
Pourtant Karin Albou contourne l’écueil du psychologisme en se lovant dans une charmante ébauche de la féminité. Le film « prend » lorsqu’il se penche sur Mathilde, la sœur de Laura, pratiquante austère tout ébaubie d’apprendre que son mari la trompe « par respect pour elle ».
L’apprentissage de la sexualité marque le tournant du récit au ton subitement plus déconcertant : la réalisatrice traite avec légèreté de choses sacrées. Cette distance ironique provoque la caméra, demeurée jusqu’ici trop sage et maladroite. Les dialogues et la musique ploient sous les images : des plans rapprochés un peu plus osés esquissent ce que devrait être le désir, (à noter que les plus jolis plans se déroulent dans le mikve, bain public dans lequel les femmes purifient leur corps pour « préparer » l’acte sexuel). Malheureusement, l’académisme du scénario dilue ces quelques instants de grâce. Mais tout cela n’a pas trop d’importance car si la jeune cinéaste manque encore d’impertinence, elle a au moins le courage de soulever d’importantes interrogations.