Personnage éminemment romanesque, la reine Kristina de Suède avait déjà inspiré à Rouben Mamoulian le film La Reine Christine en 1933, offrant par la même occasion à Greta Garbo l’un des rôles les plus marquants de sa carrière. Sept décennies plus tard, le réalisateur finlandais Mika Kaurismäki n’a plus à s’embarrasser des limites imposées par la censure de l’époque pour aborder de front cette figure historique et subversive : élevée comme un garçon par un père qui désespérait d’avoir un fils, la jeune reine oppose aux assoiffés de guerre religieuse peuplant son royaume un rationalisme éclairé inspiré des ouvrages de Descartes, au risque de passer pour une hérétique auprès de ses proches collaborateurs. Libre et affranchie des conventions, la jeune femme préférait également à la liste de ses prétendants une jeune et jolie comtesse pour qui elle entretenait une chaste passion. On devine aisément ce qui a pu attirer Mika Kaurismäki dans cette personnalité hors du commun et en avance sur son temps, confrontée au délicat exercice du pouvoir quand presque personne autour d’elle ne soutenait ses choix politiques. Pourtant, malgré le parti-pris de ne pas tomber dans un naturalisme austère qui va souvent de pair avec les biographies historiques, le résultat final peine à convaincre : prisonnier de son didactisme appuyé et de sa volonté de rendre compte de manière quasi exhaustive des événements qui ont marqué le règne de la jeune monarque, le film ne parvient pas à restituer toute l’ambiguïté inhérente à son sujet, versant le plus généralement dans l’illustration académique.
Défaut d’incarnation
Dès les premières scènes où la très jeune Kristina est amenée à monter sur le trône après le décès prématuré de son père, on devine que Mika Kaurismäki fait le choix de caractériser le personnage dans les grandes lignes, à la manière d’une fiche Wikipédia qui le résumerait à quelques moments-clés faisant le bonheur des livres d’histoire. Alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, la reine exprime son goût pour l’instruction et exige de pouvoir lire Descartes, conspué par le christianisme. Que la jeune actrice l’incarnant ne soit pas du tout convaincante n’est en soi pas le problème principal (Malin Buska, qui offre ses traits à Kristina adulte, n’est pas plus charismatique), c’est plutôt la lourdeur avec laquelle le réalisateur entend nous figurer dès les premières minutes qu’il ne s’agissait pas d’une monarque comme les autres qui trace toute la limite d’un film trop attaché à être systématiquement signifiant. Ainsi, le récit évite les faits en creux et les détours narratifs, ne jouant qu’à de rares reprises avec le hors-champ et les ellipses, faisant du caractère insoumis de la reine son imperturbable fil rouge. Ces omissions délibérées amènent un appauvrissement généralisé des enjeux, comme si tous les rebondissements historiques relatés dans ce biopic souffraient d’un aplat dramatique qui neutralise littéralement certains personnages (celui de Descartes ainsi que sa disparition en deviennent anecdotiques). L’absence de relief se retrouve également dans la mise en scène, atone et sans aucune proposition esthétique. Il est à parier que le réalisateur misait sur la force de son sujet pour convaincre. Le résultat prouve malheureusement tout le contraire.