Davantage connu pour son nom de famille que son prénom, Mika Kaurismäki a pourtant tracé une petite route de cinéma qui l’a vu visiter les recoins de la world music et explorer différents genres avec plus ou moins de réussite. Suite à un exil où le documentariste arpentait des territoires rythmiques et colorés (Sonic Mirror), Mika Kaurismäki est revenu sonder l’âme finlandaise sous la forme d’un conte très éloigné des fééries millénaristes. Car avec son titre caractéristique de l’ironie de son grand frère, Un conte finlandais n’annonce comme programme que celui d’un réveillon où un climat arctique semble s’être abattu sur des âmes solitaires et déchues.
À la veille de Noël où, bon gré mal gré, les clochettes finissent par résonner, la ville d’Helsinki ne semble pas être à la fête. Dans une banlieue résidentielle, une chambre d’hôtel et un triste appartement, trois cinquantenaires, et amis de longue date, s’apprêtent à subir une nouvelle fois le poids d’une existence douloureuse et cernée d’échecs. Matti, inspecteur de police marié à une femme russe, voit sa compagne perdre les eaux alors qu’il l’incendiait pour une dérisoire histoire de poulet pas décongelé. Erkki, photographe aux tendances suicidaires, s’habille lui en Père Noël pour rendre visite à un fils dont il a perdu la garde. Cette scène est d’ailleurs assez formidable tant elle explicite le passé d’Erkki par le seul réseau de points de vue alternant gênes, innocence et amour. Enfin, et pour clore le casting, on trouve Rauno, acteur exilé en France, qui revient en Finlande pour assister à la mort de sa femme et subir les insultes d’un enfant qu’il a tôt abandonné. Amertume, noires pensées et lâcheté masculine, Un conte finlandais étire une toile où le rouleau n’imprègne plus que cendres et autres moisissures d’un temps jalonné par de tristes trajectoires. De ce constat travaillé par le dépit, le hasard voudra que ces trois âmes se retrouvent à partager leur désarroi lors d’une soirée de karaoké où l’alcool se déversera autant qu’une vérité enfouie sous la tristesse des maux.
Filmé en numérique, Un conte finlandais ne cache pas la dureté mélancolique du récit qu’il met en place. Le réveillon de Noël qui englobe l’histoire sert donc de contre-pied à la nature festive d’un événement habituellement associé à la candeur enfantine et au bonheur d’être ensemble. Ces veufs de Noël qui sont loin d’avoir été des anges pour leur entourage forment un trio qui colporte dans leur hotte un passé dont ils ne savent plus comment en assumer la responsabilité. L’alcool aidant et la reconnaissance d’un malheur commun, les masques tomberont et les troublantes confessions finiront par être révélées. Mais ce n’est que plus tard, lors des numéros de chants auxquels se livre le trio que la culpabilité prendra une autre dimension…
Conduit comme une lente résurrection, Un conte finlandais voit au départ les trois amis garder leur distance et préserver leurs indicibles secrets en lâchant des propos sur l’insignifiance de l’Homme. Mais ce n’est qu’à l’instant où Matti, Rauno et Erkki concluent un pacte selon lequel seule la vérité devra être formulée que le teint de ces trois âmes divisées (malgré tout unies par un même malheur existentiel) s’éclaircira et brillera sous une lumière salvatrice. Mais ce lent mécanisme de dévoilement atteindra sa pleine portée lorsque chacun, invité à monter sur scène, exposera sous forme de chant ses tourments les plus inavouables. Suivant cette forme de relai où les amis qui forment le public encouragent le chanteur à se défaire ce qu’il a de plus pesant, les séquences chantées illustreront avec force la difficulté à s’assumer ainsi que la joie de pouvoir le partager et pourquoi pas de s’en libérer… Outre ces moments de « communion désespérée », les séquences musicales semblent être le principal moteur d’un scénario arc bouté sur des rebondissements en cascades. Et même si le truc scénaristique ira de répétition en répétition, la musique d’Un conte finlandais tient manifestant les rennes et bousculera toujours les difficiles perspectives du huis-clos ainsi que l’humeur grillagée derrière laquelle les personnages se murent.
Enfin, les apparitions d’une jeune femme toute de grâce fragile et d’un Père Noël alcoolisé apporteront une respiration bienvenue et permettront ainsi de donner une nouvelle amplitude à la conclusion d’un scénario réservant quelques bonnes surprises. Même si sa réalisation comporte quelques limites, Un conte finlandais a ceci de particulier que son histoire participe toujours à traduire la petitesse d’hommes et de pères terriblement fragiles. On louera alors l’idée de détourner les illusions dorées de Noël en jugeant l’honnêteté d’un discours en ces temps où le cinéma n’a jamais paru aussi éloigné de la conjoncture actuelle. Enfin, les beaux tableaux esquissées en appendice du film, réhabilitent l’idée d’un conte qui, s’il est finlandais, pourrait facilement porter la marque et la singularité d’une âme russe.