La Vérité nue s’inscrit dans la seconde veine du cinéaste, devenue sa source d’inspiration désormais privilégiée depuis la sortie de The Adjuster (1991), véritable film de transition esthétique et narrative. Depuis, sous couvert d’enquête plus ou moins constituée, Atom Egoyan met en scène les révélations psychologiques successives d’une chorale de personnages, où chacun se construit de l’intrusion des autres.
Atom Egoyan est un cinéaste contemporain atypique dont la mise en scène et la prise en charge narrative furent le plus souvent le gage d’une obsession artistique originale autour de la fascination du désir. Son étrange pouvoir de direction de spectateur a pu le hisser au côté d’Alfred Hitchcock avec les somptueux The Adjuster (1991), Exotica (1994) et Le Voyage de Felicia (1999). Sa première source d’inspiration, d’apparence plus aride, se centrait elle sur l’introduction de l’image vidéo dans la fiction cinématographique et sur les questions de la trace et de la preuve du réel dans la fiction. Elle réunit ses premiers films jusqu’à Calendar (1993), auquel s’ajoute le troublant Ararat (2002).
Un duo de comiques des années 50, Vince et Lanny, interprétés par Colin Firth et Kevin Bacon (très largement inspiré du mythique duo Dean Martin / Jerry Lewis) ont présenté, en direct, sans défaillir, une émission caritative pendant trente-six heures. Kevin Bacon (remarquable une fois encore et mettant admirablement à profit son physique androgyne) est un comique juif new-yorkais, impertinent et parfois salace, dont les excès et les outrages sont contrebalancés par la mesure de son partenaire distingué et policé. L’émission achevée, les deux hommes sautent dans un avion pour rejoindre la suite prestigieuse que leur a réservée « un homme du milieu » qui souhaite associer leurs succès à sa fortune et à ses investissements hôteliers. Dans la baignoire de la suite, on découvre le cadavre d’une très belle jeune femme noyée, dont le corps est parsemé d’étranges égratignures. Vingt ans plus tard, une journaliste talentueuse souhaite revenir sur cette étrange affaire qui a précédé de peu la séparation officielle du duo comique triomphal.
Chacun des éléments qui faisaient les qualités et les trésors de la filmographie du cinéaste deviennent dans La Vérité nue une adaptation lustrée et un laborieux travail de mise en scène. Comparé aux films noirs d’Hollywood des années 1950, le film fait pâle figure et transforme l’esthétique « du montage de la transparence » et la pudique direction d’acteurs, caractéristiques de l’époque, en un modèle dévoyé.
Au regard des films-enquêtes précédents, dont la mimesis de l’intrigue policière était une composante narrative intégrée au rythme du film, La Vérité nue prend le risque de représenter une véritable enquête à travers le personnage de la journaliste. Le film avance alors un prétexte fallacieux, souligné par le dialogue, qui veut que la publicité autour de la vie privée des personnalités publiques était consensuellement étouffée dans les années fastes d’Hollywood, à la fois par les intéressés et la presse à scandale elle-même. Seules les années 70 auraient osé dire la vérité nue sur les mythes du cinéma ! Ainsi, l’histoire du film semble prendre pour argent comptant l’idée que les frasques, les orientations sexuelles et les moments de débauche d’un Montgomery Clift, d’un Rock Hudson ou d’une Marilyn Monroe ont attendu les intrépides années 70 pour être révélés. En outre, autre preuve de la faiblesse de cette enquête cinématographique, l’héroïne du film n’est pas convaincante dans ce qui devrait être sa propre quête de vérité. Le fil directeur de la narration étouffe littéralement ce personnage monolithique (et sa propre histoire !).
Les scénarios précédents d’Atom Egoyan constituaient des entités psychologiques labyrinthiques dont seule la résolution de l’intrigue parvenait à figer la personnalité grâce aux flash-backs mais surtout aux scènes d’aveux et de confessions. Ici, le scénario est dramatiquement prévisible et les retournements de l’enquête sont autant de séquences pathétiques qui ne parviennent pas à s’intégrer au rythme du film. Passé maître dans la direction d’émotions des spectateurs, Atom Egoyan ne parvient jamais dans La Vérité nue à dépasser le spectre d’une copie ridicule du film noir hollywoodien des années 1950. Quant à l’érotisme et au désir, guides mais jamais maîtres phallocrates des fictions d’Atom Egoyan, ils sont réduits dans ce film aux écarts lesbiens dans lesquels on pousse l’héroïne et au personnage secondaire d’une étudiante dont la révélation de la sexualité bestiale se résume à un unique plan érotique très alléchant mais presque déconnecté du film et du personnage lui-même !
En pleine possession de ses choix narratifs qui guident le montage, le rythme et le scénario de ses films de fiction, Atom Egoyan a choisi dans La Vérité nue de se confronter à l’image de télévision et à sa place dans le cœur, le corps et l’imagination de tous. Tout se passe alors comme si, privé du rapport charnel et individuel des images vidéos, le réalisateur révélait, dans une enquête guidée par une esthétique kitsch et rétro, la vacuité des images de télévision dans la construction psychologiques des personnages / personnes. Le spectateur de télévision, qui n’est pas maître des images diffusées en continu, ne pourra jamais créer un rapport intime et personnel avec ce médium. Dans la première séquence du film, au lieu d’intégrer ensemble dans une séquence narrative continue, images de télévision de la fiction, images des caméras du plateau et des spectateurs de télévision fictifs et pellicule de cinéma réelle, le dernier opus d’Atom Egoyan montre, en creux, le pouvoir destructeur du cinéma américain grand public qui risque de ruiner les exigences artistiques du cinéma.