Des films sur la période troublée de la Seconde Guerre mondiale, sur le nazisme ou la Gestapo, il y en a pléthore. Les films traitant de l’ex-RDA sont déjà nettement moins nombreux. On retiendra Good Bye Lenin, une comédie. Quand il s’agit de consacrer un film – qui plus est un drame – aux agissements de la Stasi, le ministère de la Sécurité d’État, La Vie des autres s’impose comme unique candidat. Par ses qualités scénaristiques, esthétiques et cinématographiques, le film de Florian Henckel von Donnersmarck fait déjà figure de référence sur le sujet.
Description très documentée des méthodes utilisées par la Stasi pour faire régner l’ordre en Allemagne de l’Est, La Vie des autres offre la véracité des faits historiques sans en imposer la lourdeur. Dès le début du film, on se rend compte que la manipulation et la violence psychologique sont les armes les plus affûtées de la Stasi. Dans une petite pièce austère, un agent, Wiesler questionne un homme soupçonné d’avoir pris part à la fuite d’un camarade pour l’Ouest. L’homme nie, s’obstine. Wiesler n’en démord pas et le questionne jusqu’à épuisement. C’est en situation d’extrême fatigue, explique ensuite Wiesler à ses élèves lors d’un cours à l’université, que la vérité se dévoile. Un innocent se révolte et hurle tandis qu’un suspect se met à pleurer et à répéter toujours les mêmes phrases, apprises par cœur pour tromper la Stasi.
Un peu plus tard, voilà ce qu’assène Wiesler à une femme les ayant vus pénétrer dans l’appartement de son voisin pour y dissimuler des micros : « Si vous parlez, votre fille peut dire adieu à l’Université. » Pas d’atteinte physique, mais une violence psychologique destinée à maintenir les gens dans la peur. C’est en faisant pression sur la vie, la carrière, l’avenir des individus que la Stasi fait régner l’ordre. La menace est partout et il faut faire attention à la moindre parole et au moindre geste. Un étudiant en fera les frais. Il arrive à la table de ses camarades en commençant une blague sur le directeur avant de se raviser en apercevant l’agent Grubitz. Celui-ci l’invitant à poursuivre, l’étudiant achève sa blague. Grubitz rit alors jaune et lui demande son nom et son immatriculation, avant de partir dans un grand éclat de rire. Ce n’était qu’une blague ! Il est permis d’en douter lorsque nous retrouvons le même étudiant, à la fin du film, affecté à l’ouverture du courrier. Et ce n’est qu’un des nombreux exemples.
Le thème de l’observation est l’un des plus développés dans le film. C’est parce qu’elle a vu que la voisine doit se taire. La bande sonore de l’interrogatoire du suspect servira quant à elle à illustrer un cours. Et l’on se rendra compte à la fin de la scène que le directeur observait le cours discrètement. Toujours la menace d’être observé plane sur les individus. Le même procédé est utilisé pour présenter le second personnage principal. Il s’agit d’un auteur de théâtre. Nous assistons à la représentation de l’une de ses pièces. L’agent Wiesler, Grubitz et le ministre Hempf se demandent s’il ne serait pas bon de surveiller Dreyman d’un peu plus près. Wiesler l’observe d’abord à la jumelle au théâtre, avant de le surveiller jour et nuit dans son appartement.
La Vie des autres propose donc une réflexion intéressante sur le regard. À ce titre, la caméra se montre très explicative, procédé qui aurait pu paraître lourd en d’autres circonstances, mais qui trouve ici tout son sens. La majeure partie du film consistant en un aller-retour entre la vie personnelle de Dreyman et de sa femme et la surveillance de Wiesler, le scénario détaille tout. Même les rapports tapés par Wiesler sur sa machine à écrire deviennent un passage récurrent dans le film. Nous rentrons ainsi dans ce mécanisme d’observation. Nous savons tout ce que sait l’agent.
Si le film captive le spectateur, c’est aussi à travers l’évolution du personnage de Wiesler et sa mise en parallèle avec Dreyman et sa femme. En effet, Wiesler est présenté comme une sorte de robot qui prend vie. Au contact – même indirect – des deux artistes, l’agent de la Stasi s’humanise peu à peu. De très belles scènes le montrent, dans la solitude de son existence, plongé dans la lecture d’un livre de Brecht qu’il a dérobé chez Dreyman, puis versant une larme à l’écoute de Dreyman interprétant la « Sonate pour un homme bon » au piano. Quant à la scène avec la prostituée de la Stasi, elle révèle tout le pathétique de sa vie morne et mécanique. L’invraisemblable arrive alors, Wiesler va commencer à protéger Dreyman et sa femme, mettant ainsi en jeu sa propre carrière. Le personnage restera malgré tout très mystérieux. Comme le suggère l’affiche du film, il restera dans l’ombre, une coupure très nette existant entre la surveillance qu’il exerce et la sphère intime dans laquelle évoluent les deux artistes.
Avec les personnages de Dreyman (interprété par Sebastian Koch, vu récemment dans Black Book de Paul Verhoeven) et de Christa-Maria, sa femme, c’est donc la condition des artistes qui est évoquée. L’un des passages les plus marquants est sans doute l’annonce du suicide d’un ami metteur en scène de Dreyman, ne pouvant plus supporter l’interdiction de travailler émise par la Stasi à son encontre. Le réalisateur a choisi de s’intéresser à des artistes parce qu’ils étaient l’une des premières cibles de la Stasi, qui détruisait avant tout les esprits.
Enfin, le film ne serait pas complètement réussi sans une esthétique RDAnienne parfaitement maîtrisée. C’est le premier film à avoir obtenu l’autorisation de tourner dans l’ancien QG de la Stasi. Les couleurs du film ont également été savamment étudiées, le réalisateur supprimant toute couleur qu’il aurait été impossible de trouver en RDA à cette époque. L’esthétique du film prolonge donc parfaitement le souci de véracité historique à l’œuvre dans tout le film.
S’il fallait trouver un défaut à La Vie des autres, ce serait sa fin. Toute la conclusion nous montre Dreyman essayant de comprendre ce qui s’est passé et trouvant un moyen original de montrer sa reconnaissance à Wiesler. Cette dernière partie aurait mérité un développement beaucoup plus long. Traitée comme elle l’est dans le film, elle semble inutile, versant légèrement dans le cliché. Mais cela n’entame en rien toutes les autres qualités du film, qui devrait faire date dans l’histoire du cinéma allemand.