Deuxième volet de la trilogie américaine de Rachid Bouchareb consacrée aux relations entre les États-Unis et le monde arabe (Just Like a Woman, le premier chapitre, est sorti directement en DVD en France après sa diffusion à la télévision américaine), La Voie de l’ennemi suit la sortie de prison du caïd William Garnett (Forest Whitaker), condamné à vingt ans de réclusion pour le meurtre d’un adjoint du shérif, mais relâché trois ans plus tôt pour bonne conduite. En partant de ce squelette narratif particulièrement classique, la fragile réinsertion des anciens criminels ayant toujours été un des thèmes du prédilection du polar, le réalisateur d’Indigènes a choisi d’ajouter un peu de chair à cet argument minimaliste : pendant ses années passées au mitard, Bill s’est converti à l’islam. Lunettes à la Malcolm X sur le nez et bague illustrée de l’étoile et du croissant musulmans au doigt, William affiche sa nouvelle identité grâce à laquelle il aspire désormais, le plus sincèrement du monde, à une vie paisible. Mais – forcément – le pauvre gaillard n’aura le droit qu’à une vie boiteuse, harcelé par le shérif local, l’extrêmement rancunier Bill Agati (Harvey Keitel), et son ancien complice (Luis Guzmán).
La transposition au Nouveau-Mexique d’un récit emprunté à Deux hommes dans la ville de José Giovanni offre l’occasion à Rachid Bouchareb de faire reposer sur ce territoire deux thématiques : l’une politique (la place accordée aux Musulmans dans l’Amérique profonde), l’autre symbolique (l’errance limbique d’un homme vacillant entre deux états – criminel / citoyen honnête).
Désert politique
Bien qu’elle soit au fondement du triple projet américain de Bouchareb, la première de ces deux questions ne pèse pas plus lourd qu’un virevoltant emporté par la moindre brise. En d’autres mots : curieusement, la conversion de William s’avère purement anecdotique. Certes, l’ex-taulard se promène avec les insignes de sa nouvelle religion, prie devant ses collègues de travail et sort régulièrement son misbaha pour se concentrer sur Allah plutôt que sur les coups durs de sa trajectoire bancale, mais jamais sa confession (pourtant source de toute une flopée de fantasmes peu flatteurs dans certaines régions américaines) ne semble être un enjeu pour le film.
Politique du désert
La deuxième thématique, en revanche, s’épanouit assez bien à mesure que progresse le récit. C’est que Rachid Bouchareb, marchant sur les pas de John Ford (La Prisonnière du désert, ouvertement cité dans un plan cadrant un corps sur le pas d’une porte) ou de Robert Benton (réalisateur du plus méconnu mais stupéfiant Bad Company), a compris combien les paysages arides des déserts américains pouvaient évoquer un espace intermédiaire, suspendu entre la vie et la mort, où les âmes erreraient avec une idée fixe en tête. Depuis les premiers plans du films où l’on assiste, en ombres chinoises, à un meurtre, à l’avant-dernière scène de nuit dans un décor lunaire, le cinéaste franco-algérien s’applique à installer le parcours chancelant de William dans une zone aussi propice à la rédemption qu’à la damnation. Au pays du western, Rachid Bouchareb est devenu plus cowboy que polémiste. Et c’est peut-être tant mieux.