D’abord uniquement destiné à la télévision, London River est sélectionné en compétition au dernier festival de Berlin, où Sotigui Kouyaté obtient un prix d’interprétation pour le rôle d’Ousmane. Le film est finalement diffusé le 16 juin 2009 sur Arte, avant de connaître l’honneur de salles obscures en cette fin de mois de septembre, suivant un modèle à présent bien éprouvé par la chaîne franco-allemande. Un beau parcours pour ce huis clos dramatique sur l’angoisse de l’attente et le dépassement des préjugés culturels.
7 juillet 2005 : de violents attentats secouent la ville de Londres en quatre points distincts, faisant 56 morts et 700 blessés. De ce drame soudain et spectaculaire, réplique traumatique des événements américains du 11 septembre 2001, Rachid Bouchareb choisit de dévoiler ce que les médias n’ont jamais montré, mais qui constitue peut-être finalement le vrai cœur de l’événement. Il filme avec sobriété la douleur des familles dans l’attente du retour espéré de proches potentiellement présents sur les lieux des attentats. Depuis l’île de Guernesey, Elisabeth (Brenda Blethyn) observe nerveusement les images insensées qui défilent sur son écran de télévision, sans parvenir à joindre sa fille installée dans la capitale britannique. Sans nouvelles, elle décide de quitter sa ferme pour retrouver sa fille à Londres. Elle découvre avec étonnement son univers quotidien dans le quartier de Finsbury Park (dont la mosquée a été considérée comme un épicentre londonien du terrorisme religieux à cette époque). Elisabeth réalise à quel point elle connaît mal son propre enfant. Sa fille, devenue une jeune femme indépendante, habite au-dessus d’une boucherie hallal et apprend l’Arabe, au grand dam d’une mère qui l’imagine déjà endoctrinée par des islamistes radicaux. Au cours de ses recherches peu fructueuses, Elisabeth, chrétienne conservatrice, fait la rencontre d’un garde forestier musulman, Ousmane (Sotigui Kouyaté), Français d’origine africaine, venu lui aussi à Londres pour retrouver un fils qu’il n’a jamais connu.
Dans leur quête maladroite, les deux parents égarés (re)découvrent leurs enfants. Ces deux sublimes figures de l’absence occupent chaque plan du film, par la voix d’une mère et d’un père subissant de plein fouet leur impuissance à agir sur le destin de leur progéniture. Elisabeth et Ousmane comprennent progressivement à quel point le destin de leurs familles est lié. Ces deux individus qui n’auraient jamais dû se rencontrer vont se trouver unis à jamais. Dans ce film intimiste, l’économie de moyens et la simplicité apparente de la réalisation contribuent au développement d’une tension palpable et d’une émotion contenue. Jamais les séquelles de la violence terroriste n’ont été aussi bien représentées au cinéma pendant cette décennie. Aux antipodes du grandiloquent et mièvre World Trade Center (Oliver Stone, 2006), London River parvient à saisir la souffrance d’êtres confrontés à un drame cataclysmique. Les élans d’espoir et les moments de panique sont transcrits avec finesse par deux comédiens de grande qualité, donnant corps à deux individus totalement antagonistes (dans leur apparence, leur culture, leur appréhension du monde, leur gestion des émotions…). La sexagénaire Brenda Blethyn fait d’Elisabeth une petite fille nerveuse, mal à l’aise dans la grande ville impersonnelle et égarée dans le tourbillon du métissage culturel, loin de son quotidien rural si calme et pragmatique. Face à elle, Sotigui Kouyaté donne l’impression d’incarner une sagesse presque ancestrale. Sa longue silhouette osseuse qu’il déplace avec lenteur laisse imaginer le poids des événements vécus par un personnage à la sérénité de façade, dont les propos contenus laissent peu à peu transparaître un vrai sentiment de peur.
London River est un film modeste et simple, exempt de démagogie et profondément humain, qui se concentre sur la profonde solitude et le sentiment d’isolement des victimes collatérales des drames spectaculaires, loin des cellules psychologiques, du ramdam médiatique et des zones de recherches.