Dans l’ensemble, le système scolaire n’a pas été vraiment gâté par la comédie française. Il semble que le prisme de l’humour doive toujours réduire l’évocation de nos bancs d’école à la reconduite du même fantasme de conflit de classes, dévoiement opportuniste de la vision anarchiste qu’en avait formulée Jean Vigo dans Zéro de conduite : d’un côté le bloc d’enseignants uniformément rigides et voués à la dérision facile, de l’autre le bloc d’écoliers uniformément turbulents et appelant à la sympathie tout aussi facile. Pas vraiment de personnages dans ce chahut, plutôt deux pôles d’une même vision moins propre à évoquer qu’à flatter un certain confort moral dans l’image d’Épinal. Au moins La Vraie Vie des profs fait-il quelques efforts pour échapper à ce schématisme aussi périmé que suspect. Mais quelle proposition nous fait-il ?
Quiconque a vu le précédent long métrage du tandem Pereira-Lazaro et Klotz, le film d’animation Lascars tiré de la série du même nom, ne sera pas si surpris par les ressorts de ce film en prise de vue réelle où ils traitent l’école comme ils traitaient les cités de banlieue. Opposant aux « gardiens de l’ordre » un groupe social pourvu d’un langage bien fleuri qui lui forge une culture singulière (langage ici fait d’argot recherché mi-réel mi-inventé, avec l’aide du coscénariste, écrivain et ex-enseignant Alexandre Jardin), ils versent de nouveau dans la caricature positive, celle qui joue, sur ses personnages, du cliché jamais pénalisant, jusqu’au risible, pour mettre a contrario en évidence les singularités de chacun. Cela ne vole pas plus haut que le désamorçage des postures habituelles liées à ces représentations de groupes sociaux, et ce n’est cependant pas si mal, provoquant des moments de rire sain quand quelques vérités sur les uns et les autres transparaissent sous des atours de comédie pas forcément fine. Par exemple, quand deux garçons ayant pris en filature un de leurs professeurs réalisent avec effroi que cela les a menés tout droit dans une boîte gay, c’est leur peur (du refoulé ?) qui devient objet comique, qu’ils manifestent par des expressions physiques dignes d’un cartoon.
De vraies promesses non tenues
Le film se rend plus fragile en tâchant d’articuler ce petit monde en une suite de péripéties avec prémisses et conclusion. L’intrigue n’est pourtant pas dénuée de pistes intéressantes. Pour faire descendre leurs profs de leur piédestal hiérarchique (on est alors bel et bien dans un conflit de classes prononcé), une bande de collégiens décide de fouiner jusque dans les poubelles des vies privées de ces derniers, et d’exhiber sur le web les détails les moins conformes à leur image de discipline. Si l’opposition vie privée/vie publique des adultes n’est pas des plus subtiles (en gros, toutes ces postures de garants de la tradition cachent des activités bien moins traditionnelles : qui est homo, qui fréquente des bikers, qui a joué dans un groupe de punk-rock, qui danse la zumba, etc.), elle a surtout pour intérêt de motiver l’acte de transgression voyeuse des pré-ados à l’égard de l’autorité. Cela promet de s’étoffer un peu quand les conflits d’individus menacent l’entreprise collective, l’un des paparazzi en herbe voulant s’arroger le mérite de l’entreprise, jusqu’à en repousser les limites…
C’est alors, au moment où les enjeux scénaristiques se gonflent, que le train-train de portraits comiques mené par les réalisateurs commence à sérieusement accuser ses limites, refusant de s’impliquer dans de telles nuances qui pourraient perturber leur petit système. Car il devient de plus en plus évident que leur vision ne souhaite guère se risquer au-delà de la sympathie émanant de leurs caricatures bienveillantes, à en juger par leur mise en images se contentant de collectionner les effets-gadgets dès que cela s’agite un peu (sur-découpage, caméra portée…), générant dans ces moments une bouillie visuelle noyant l’énergie des scènes à force de se vouloir « branchée ». Pereira-Lazaro et Klotz se bornent à suivre mollement un scénario qui déroule ses pistes vers un dénouement si paresseux qu’il en nie même les nuances, notamment dans cet éloge final à un progressisme hors d’âge où l’on apprend que oui, les profs ont le droit d’avoir une sexualité et de parler l’argot. Et le film de tutoyer alors in fine le schématisme poussiéreux de l’opposition profs/élèves qu’il avait l’occasion d’éviter.