Le cinéma français n’en démord pas, bien décidé à se construire une solidité économique capable de faire face aux films hollywoodiens, il continue d’explorer sa réserve de sujets populaires. Mais loin des gaspillages scandaleux que furent par exemple les films de Jean-Paul Salomé, Jérôme Salle, en choisissant d’adapter une valeur sûre du répertoire du scénariste de BD belge Jean Van Hamme, parvient enfin à montrer une voie de salut possible pour le cinéma commercial français et européen. Il était temps.
Il arrive qu’occasionnellement un critique doive renoncer à ses préjugés et à toute la mauvaise foi sans laquelle il ne serait pas vraiment ce qu’il est. Il arrive qu’en dépit de ses mauvais pressentiments, il soit contraint de saluer l’effort là où il s’attendait à fustiger la paresse. Bref, il arrive qu’il soit surpris et obligé de l’admettre honnêtement. Largo Winch est donc une surprise, pas forcément une grosse surprise, ni même nécessairement une heureuse surprise, mais une surprise qui a au moins ce mérite de mettre à mal nos a priori. Et c’est déjà ça. Car dans le domaine des adaptations de bandes dessinées européennes, le cinéma français, soutenu par un lourd système de coprod internationale, nous a habitué à pire. Bien pire. Nous partons donc là du pire pour aller, non pas vers le meilleur, mais au moins le correct : la flèche de satisfaction est ascendante. La raison en est simple : Jérôme Salle et son équipe, plutôt que de s’installer confortablement dans le siège du pilote automatique qui prédomine la manière dont on retranscrit au cinéma nos BD, ont cherché à en trouver l’esprit. Pour faire simple, quand sortent sur nos écrans les adaptations de Blueberry, Michel Vaillant, Les Bidochon et j’en passe, ce n’est que le titre du film et les noms des personnages qui font le lien avec la provenance d’origine de ces histoires. Les Chevaliers du ciel auraient pu tout aussi bien s’appeler Les Voltigeurs des airs et les héros Michot et Philibert, rien ne nous aurait permis de le raccrocher aux ouvrages de Charlier et Uderzo, ou la série télé qui s’en inspire. Il n’aurait été qu’un simple (mauvais) film d’aviation de plus (au lieu d’une simple mauvaise adaptation de plus). Tandis que l’univers de Largo Winch, ici, est immédiatement identifiable. Non pas pour des raisons graphiques, façon Asterix ou Tintin version cinoche, mais parce que Jérôme Salle s’est manifestement donné comme priorité de capter toute la légèreté qui caractérise la BD de Van Hamme et Francq, et qui leur permettait d’alterner récit d’aventure, intrigue policière et suspense financier d’un seul et même mouvement. Car c’est là que se situe le secret du charme des péripéties du playboy milliardaire rebelle, pas dans le croisement des genres, ni dans leur côtoiement, mais dans la façon toute naturelle dont on passe de l’un à l’autre.
Mais la légèreté dans le cinéma français a un prix assez paradoxal : une certaine lourdeur. Pas dans le sens d’un film laborieux et poussif, mais dans le sérieux d’une mise en scène dont la seule crainte serait que le film lui échappe. Le cinéma américain sait depuis longtemps gérer ce genre de chose : prendre le film au sérieux mais ne pas se prendre au sérieux, c’est un peu son mot d’ordre. En France, on a plus de mal. Dès qu’on s’attaque à un film de genre, c’est toujours avec une solennité toute constipatoire qui empêche le plein épanouissement du projet. Et le laxatif filmique que déploie la réalisation pour faire passer le tout, demande à Salle un effort qu’on devine un brin disproportionné par rapport au résultat final. Cet effort indique qu’un cinéma commercial décomplexé et français, nous n’y sommes pas encore tout à fait, mais nous y parvenons, laborieusement mais sûrement. Il faudra d’abord finir de dompter ce système de production impure qui mène l’économie cinématographique française, puis trouver le bon équilibre pour supporter ces films sans studio derrière pour les téléguider. Tout comme Largo Winch dans cet opus sur grand écran (inspiré des premiers volumes de sa saga BD), il faut apprendre à mettre en pratique tout ce qu’on sait théoriquement et avancer à tâtons pour réussir à faire se rejoindre l’inconciliable. La trame du film prend donc des allures de métaphore sur ce cinéma français en quête de repères, où un type de héros assez classique (Tomer Sisley en Largo, plutôt à l’aise en beau ténébreux agile et moins idiot qu’il en a l’air), pour donner un peu de peps à ses histoires, doit savoir gérer des situations aussi variées qu’une course-poursuite en voiture, une fusillade et une O.P.A. contre sa multinationale, tout en gardant sa décontraction naturelle (c’est ça le véritable défi). Si lui peut le faire, pourquoi pas le cinéma qui le met en scène ?