Pour nous, pauvres innocents qui ne soupçonnions point tous les sous-entendus fort peu angéliques cachés dans les recoins des contes de fée de notre enfance, Hollywood se met en devoir de nous déniaiser un peu, avec cette relecture du « Petit Chaperon Rouge » en forme de thriller gothique glamourisé. Soin du scénario hollywoodien oblige, c’en est fini des repères vagues et des appellations fleuries qui siéent si bien aux contes. Ici, le Petit Chaperon Rouge a un prénom (Valérie), une famille au complet (parce qu’une grand-mère, c’était un peu léger) et même des voisins dans un village au nom délicieusement médiéval-fantastique (Daggerhorn). Comme elle n’est plus une petite fille et qu’elle a les attraits d’Amanda Seyfried (Mamma Mia !, Jennifer’s Body), on l’implique même dans un triangle amoureux : promise au très sage fils du forgeron, elle lui préfère un autre bellâtre, moins sage, qui lui fait miroiter l’espoir de quitter un jour les palissades étroites de Daggerhorn. Le village, lui, a un souci plus important : chaque nuit de pleine lune, il doit sacrifier une pièce de bétail pour apaiser la faim du grand méchant loup qui terrorise la région. Mais un jour, le loup change ses habitudes prédatrices et vient massacrer la sœur aînée du Petit Chap… pardon, de Valérie. Il apparaît qu’il s’agit en fait d’un loup-garou, du moins si l’on en croit le chasseur de loups-garous (Gary Oldman, pas franchement inspiré) qui débarque alors avec son escouade surarmée et ses méthodes d’inquisiteur, éveillant la paranoïa et la suspicion dans le village, et forcément intéressé par Valérie qui se révèle la seule personne à pouvoir communiquer avec la bête…
Grand-mère, comme vous avez les yeux plus gros que le ventre…
L’histoire du Petit Chaperon Rouge, revue par Catherine Hardwicke, son scénariste et — ne pas oublier — ses décorateurs, transpire des efforts fournis pour faire cadrer tout ce qu’on connaît du conte dans un contexte plus touffu, plus sophistiqué, plus explicite aussi sur le plan thématique, autour de la figure évidente du loup qui menace l’intimité de la jeune fille travaillée par ses désirs. On retrouve tout : le capuchon rouge, le panier, même la scène des « grand-mère, comme vous avez…» et les pierres à mettre dans le ventre de la bête. Reconstituer le puzzle est amusant : on se met à la place du scénariste qui a dû se décarcasser pour réagencer les éléments en une sorte de version apocryphe. Mais le reste, ce qui est censé enrichir le matériau d’origine, lui faire quitter son innocence trompeuse en mettant en évidence ses composantes cachées ou en y ajoutant d’autres, s’avère bien lourd à digérer.
Supportant péniblement son cahier des charges qui le somme d’être un conte enrichi pour être vu par un public d’aujourd’hui, Le Chaperon rouge, comme beaucoup de productions cinématographiques moins suscitées par des personnalités que par une industrie standardisée, croule sensiblement sous le poids de l’attirail qui lui a été conféré et dont il se sert sans inspiration. Attirail du conte de fée en général qu’il se pique de revisiter (le village et la forêt environnante sentent ostensiblement le carton-pâte, lorgnent vers un Sleepy Hollow coloré), voire de mettre en abyme (on y joue « Les Trois Petits Cochons »). Attirail d’un progressisme tout fait : on caricature à la va-vite l’obscurantisme à travers un personnage de convention auquel on ne peut guère croire, et à qui on adjoint une escouade multi-ethnique sans que ces apparitions, certes peu communes dans un conte médiéval fantastique et qui auraient pu être de nature à subvertir la représentation habituelle du genre, soient exploitées comme autre chose qu’un sacrifice à d’autres habitudes, une caution politiquement correcte. Attirail du scénario qui régente mécaniquement le thriller : cela commence comme un imbroglio familial autour de la famille de l’héroïne, et se poursuit comme un whodunit — qui est le grand méchant loup ? — répétitif dans sa façon de semer le doute. Ajouté à la musique insipide, le tout arrive à ressembler à une de ces comédies musicales qu’on connaît en France depuis quelques années : décorées et costumées à grands frais, prétendant réactualiser les classiques à l’usage du public contemporain au travers d’un modernisme au clinquant industriel.
Grand-mère, comme vous avez l’air timide…
Dernier attirail, à signaler parce que c’est celui qui suscite le plus de regrets : la promesse de sexualisation du conte, qui ne dépasse guère l’éclat décoratif de la cape rouge vermeil de l’héroïne. Pourtant, on le sait, Catherine Hardwicke a bâti l’essentiel de sa carrière de réalisatrice sur la peinture d’adolescences fiévreuses, depuis un démarrage modeste (Thirteen) jusqu’au blockbuster écrasant (Twilight : chapitre 1). C’est donc sur ce thème-là qu’on pouvait attendre qu’elle infléchisse le produit dans une direction intéressante. Le résultat ne fait qu’ajouter à la déception, même s’il ne fait que confirmer les limites de la marge de manœuvre de la cinéaste déjà accusées par Twilight. Déjà bien empotée avec le cahier des charges sur lequel elle ne parvient pas à s’imposer (voir comment elle s’accroche à une grossière série de plans en vue subjective pour créer un semblant de suspense, comment elle dénoue la phase finale whodunit avec de pauvres flash-blacks, sacrifiant la tension du moment à des effets de surprise futiles), sa manière d’incarner l’adolescence butte, comme dans son film précédent, contre les impératifs de l’imaginaire hollywoodien sur le sujet, notamment concernant la sexualité.
Une scène, une seule, se distingue par la perversité qu’elle dévoile — sans doute le lui a‑t-on permis parce qu’elle restait chaste : celle où, à travers le masque qu’on lui a imposé, Valérie voit une amie fidèle lui dévoiler sa jalousie et sa cruauté. Mais dès que vient une rencontre supposée enfiévrée entre la belle et son cher et tendre (le rebelle : on le reconnaît parce qu’il a la même mèche que… Robert Pattinson dans Twilight), la scène, comme écrasée par la tendance décorative ambiante, devient un moment de clip enluminé, dont la sensualité en toc, toute d’imagerie préfabriquée et déjà usée auparavant, marque la limite de l’exploration des émois juvéniles par Hardwicke : à la jolie surface, de peur de creuser trop profondément, et plus encore de déranger l’édifice narratif auquel la réalisatrice reste sagement attachée. Le générique de fin, lui-même fait d’une telle scène, conclut le film de façon ambiguë, entre ouverture et renfermement : ouverture parce que d’une certaine façon, elle sonne comme une revanche sur le puritanisme forcené du scénario de Twilight ; renfermement parce qu’elle achève de figer les élans des protagonistes dans une représentation à la grandiloquence creuse et aseptisée. À la discrétion des sous-entendus sulfureux du conte originel, l’adaptation ne fait que substituer un verbiage au premier degré réfrigérant.