Harry Potter n’est plus, vive Harry Potter ! J.K. Rowling en ayant à peine terminé avec son héros apprenti sorcier, une jeune romancière américaine lui a déjà ravi sa place dans le cœur des adolescentes du monde entier. Stephenie Meyer est l’auteur des best-sellers Twilight, dont le quatrième et dernier tome a été accueilli cet été aux États-Unis avec une excitation proche de l’hystérie. Déçus du sort réservé à l’héroïne, les fans ont mené une campagne de dénigrement aussi sauvage que démesurée pour exprimer leur mécontentement. Réfugiée dans sa maison de campagne, l’auteur a dû se remémorer quelques scènes du Misery de Rob Reiner avec une émotion certaine.
Cet autodafé virtuel n’a pas empêché Hollywood de s’emparer de la poule aux œufs d’or. Mis en production en début d’année et sorti sur les écrans américains à la fin du mois de novembre, Twilight – chapitre 1 : Fascination a déjà rapporté près de 180 millions de dollars au box office, transformant ses jeunes acteurs (et particulièrement Robert Pattinson, l’interprète de Edward, le vampire au grand cœur) en machines à fantasmes pour jeunes filles en fleurs. Et pourquoi pas, d’ailleurs ? Si les romans de Stephenie Meyer n’ont pas l’once d’un début de la grandeur des derniers volumes de Harry Potter, cette adaptation cinématographique intrigue par la présence derrière la caméra de Catherine Hardwicke. La réalisatrice de Thirteen (2003) et Les Seigneurs de Dogtown (2005), films sympathiques bien que surestimés, possède un talent évident pour capter les angoisses et les contradictions de l’adolescence. La retrouver aux manettes d’une telle franchise a de quoi piquer la curiosité.
Hélas, ce premier épisode de Twilight est une catastrophe dans les grandes largeurs. Présenté comme un Roméo et Juliette nouveau genre (aïe), le film raconte l’histoire de Bella, 17 ans, jeune fille timide qui déménage dans une petite ville pluvieuse de l’état de Washington pour y vivre avec son père. Au lycée du coin, elle tombe instantanément amoureuse d’Edward, un jeune homme solitaire et torturé, qui semble autant attiré qu’étrangement rebuté par la présence de Bella. Et pour cause : Edward est un vampire (végétarien – si, si !) qui doit constamment lutter contre ses pulsions et son désir. Ce qui ne semble pas déranger Bella le moins du monde…
C’est beau comme du Marc Lévy qui aurait troqué ses histoires de bourgeoises fantômes pour des ados vampires en les écrivant en langage SMS (LOL). Filmé n’importe comment avec beaucoup de filtres bleutés pour montrer qu’il pleut sans cesse (ce qui arrange nos vampires 2.0, qui ne craignent guère la lumière et encore moins l’ail), Twilight est l’équivalent cinématographique d’un roman Harlequin de 400 pages. Lorsque Edward voit Bella entrer dans une salle de classe, son désir est si fort qu’il tente de le contenir tant bien que mal. Hélas, la direction d’acteurs laisse tellement à désirer que tout ce que l’on voit à l’écran, c’est un pauvre garçon qui a l’air d’être pris d’une crise de gastroentérite foudroyante. Tout le film repose sur l’histoire de ces deux ados éperdus d’amour l’un pour l’autre mais réprimant leur désir, que les conventions leur interdisent d’assouvir : parce qu’il est un vampire et qu’il a peur de « contaminer » Bella, Edward résiste, mais la jeune fille insiste. On peut y voir une métaphore sur la perte de la virginité ou, moins drôle mais nettement plus plausible, sur ce phénomène sordide baptisé « the Gift », qui consiste à transmettre volontairement le VIH à une personne consentante. Quoi qu’il en soit, difficile de prêter à Hardwicke et ses producteurs une quelconque envie de faire passer un message. Twilight, c’est un peu le degré zéro de la subtilité et y voir l’amorce d’une réflexion sur quoi que ce soit reviendrait à prêter à ses auteurs autre chose que la simple envie de faire sonner le tiroir caisse.
Précisons enfin que les amateurs de films de vampires et autres délices horrifiques avec suceurs de sang risquent fort de se casser le nez. Les rares scènes d’action sont filmées avec la même dextérité qu’un épisode égaré de Xena et les effets spéciaux sont à l’avenant : mention spéciale au passage où le jeune vampire, censé étinceler comme un diamant à la lumière du jour, semble plutôt péniblement suer à grosses gouttes. Bref, Twilight, c’est au choix une terrible épreuve qu’il vaut mieux éviter d’endurer, ou un extraordinaire sommet de comique involontaire. Dans les deux cas, c’est à pleurer.