Un génial chef d’orchestre mis au placard sous Brejnev revient sur le devant de la scène par le biais d’une rocambolesque supercherie. La chose comico-dramatique aurait pu se contenter d’être mal foutue et très vite lassante, elle exhale aussi quelque chose d’abject en terme de vision du monde, ce qui laisse une impression de consternation et de fort malaise.
La scène d’ouverture met en rapport les gestes, soigneusement cadrés serrés dans une jolie lumière avec des flous, de musiciens sur leurs instruments et ceux d’un chef d’orchestre. Croit-on pour ce dernier. Il s’agit en fait de la personne affectée aux tâches ménagères du théâtre du Bolchoï. Andreï « Le Maestro » Filipov fut placardisé sous Brejnev pour avoir défendu les musiciens juifs de son orchestre. Une descente sévère, que la nouvelle Russie post-communiste ne lui a pas permis de rétablir. C’est alors qu’il intercepte un fax invitant l’orchestre du Bolchoï à une représentation à Paris. Qu’à cela ne tienne, lui et son orchestre sortiront du placard pour retrouver la lumière. Tout ceci est fort mal amené ; en cherchant quelque chose d’imagé pour évoquer cela, on tombe rapidement sur la truelle, outil plus indispensable à la maçonnerie qu’au cinéma, sauf pour les décors à la rigueur.
S’il s’agit de musique classique, ça aurait très bien pu être n’importe quoi. Tiens, du football. Je prends les instruments et les remplace par un ballon, le chef d’orchestre par l’entraîneur, et nous y voici : l’arc narratif où des pauvres bougres à la ramasse vont remporter – en passant par toutes les étapes : enthousiasme, doute, catastrophe imminente, triomphe final – la coupe à la fin. Pourquoi pas après tout ? Sauf qu’il y a quelque chose de désespérant dans cette vision de la pratique artistique ; plus précisément de l’alliage de talent et de travail qu’elle suppose. Inutile de refaire le match, mais peut-être le film aurait-il été moins désagréable s’il s’était déroulé dans des vestiaires et sur le gazon d’un stade.
Le tout baigne dans des intrigues et thématiques à tiroir aussi diverses que : quête des origines, versatilité de l’âme slave, rédemption d’un proscrit, Russie actuelle avec humour kitsch « cocostalgique » bien vachard, pour ne pas dire revanchard… On croit d’ailleurs reconnaître parfois les chœurs de l’armée rouge dans la bande son. Inutile de s’étendre sur l’usage de flash-back assez hideux, par lesquels on accède aux tourments de l’arrrrtiste. Entre le mélodrame et la comédie, on préfèrera, tout est relatif, le premier. Car les scènes comiques sont braillardes, jouées avec une outrance épuisante. D’autant plus qu’on en prend pour deux heures. Ce qui définit bien Le Concert, ce sont les séquences avec les oligarques russes, avec en commun le clinquant, une sorte de génie du mauvais goût, un côté parvenu et content de soi, droit dans ses bottes.
Outre cette grande faiblesse d’ensemble, autre chose frappe davantage dans le film. « Allons dans un vrai café français » aurait pu être une réplique malheureuse et isolée, lâchée après que le directeur russe de la tournée a constaté que « Le Trou normand » bin d’chez nous soit devenu un restaurant marocain où l’on sert du couscous. Que les Tsiganes soient des magouilleurs nés, les Juifs des revendeurs de caviar à la sauvette est encore autre chose. On doit ajouter que c’est tout à fait du même acabit pour ce qui est du positionnement social des personnages, particulièrement l’intelligentsia culturelle parigo-parisienne, forcément composée de tapettes hystériques, en l’occurrence refoulées. Cette différenciation, pour ne pas dire stigmatisation, envahit aussi le filmé. Ce qui est moins explicite, mais sans doute plus signifiant encore. Lorsque deux personnes d’origines différentes sont unies dans le même cadre, tout est fait pour qu’ils soient identifiables et repérables (voir l’en-tête de l’article, photographie principale). Ce ne sont pas des individus, ils sont ce qu’ils sont et ne peuvent être que juifs, russes, français ou tsiganes.
Rappelons que dans son précédent film, globalement bien reçu soit dit en passant, Va, vis et deviens (2005), le même Radu Mihaileanu nous disait, sous couvert d’un humanisme auto-décrété et satisfait, que l’on ne devenait rien d’autre que ce que l’on était déjà. C’est-à-dire l’exact contraire de ce qui fait et définit la pensée humaniste : la capacité de l’homme à se transformer. Mais il faut dire que ce dernier film, s’il était parsemé de maladresses et s’il suscitait un certain malaise sur bien des points, n’est rien en comparaison avec Le Concert. Ici, on se frotte les yeux, on se dit que l’on a mal entendu, que l’on est encore victime de la pensée unique de gauche qui coupe les cheveux en quatre. Mais non, c’est bien le cas ; sous ces airs de film sur l’imposture positive, ce film est le véhicule d’une pensée tout à fait infréquentable et dégueulasse, que l’on pourrait définir comme droitière. Les rires, pas si rares que ça, dans la salle de projection de presse avaient quelque chose de glaçant. Le fait qu’EuropaCorp soit dans l’affaire n’a rien d’une surprise ; par contre, la présence d’argent public dans cette coproduction, par le biais de France 3 Cinéma, est proprement scandaleuse.