Pour son troisième long métrage, Radu Mihaileanu (Train de vie, 1998) explore les thèmes douloureux du déracinement forcé, de l’émigration, de l’intégration et de la quête identitaire. Porté par le jeu sensible de ses comédiens, il signe un film puissant et profondément humain.
1984. L’opération Moïse est déclenchée, à l’initiative des États-Unis et d’Israël. Des centaines de milliers d’Africains de vingt-six pays frappés par la famine sont rassemblés dans des camps au Soudan. Parmi eux, des milliers de juifs éthiopiens, les Falachas, sont ensuite rapatriés vers Israël, la Terre Sainte, leur statut de descendants du Roi Salomon et de la reine de Saba, longtemps controversé, leur étant enfin reconnu. En partant de ce fait réel de l’histoire récente du continent africain, Radu Mihaileanu place d’emblée son film dans le registre du témoignage et de la mémoire. Mais aussi de la quête d’identité et de l’entrée dans l’existence. Va, vis et deviens suit en effet le destin d’un enfant chrétien confié par sa mère à une femme falacha pour lui sauver la vie. Une fois en Israël, il devient Schlomo, fils adoptif d’une famille française séfarade de Tel-Aviv. Il y apprend la culture occidentale, la judaïté et ses pratiques, l’amour et la conscience politique. Bridé par le secret de ses origines, guidé par son désir presque viscéral de retrouver un jour celle qui l’a chassé pour l’épargner, il se construit peu à peu, dans un contexte fait de racisme latent et de conflit entre Israël et Palestine.
La sincérité de Radu Mihaileanu est évidente. À la fois réalisateur et scénariste, il insuffle à son film son désir de retranscrire fidèlement, et de la manière la plus frontale possible, le destin douloureux des Falachas. Fidèle à son titre, il décline l’histoire de cet enfant selon trois chapitres, trois séquences de vie : le déracinement pour la survie, l’adolescence et la prise en main de sa propre destinée, l’entrée dans l’âge adulte et l’affranchissement voulu par sa mère africaine. Va, vis et deviens, trois mots d’ordre auxquels Radu Mihaileanu ne déroge jamais, quitte à s’encombrer de quelques longueurs et déséquilibres. On peut en effet regretter la différence de traitement entre la prime jeunesse de Schlomo, qui occupe la majeure partie du film, et son évolution finale et tant attendue vers l’âge adulte. Comme si le réalisateur, pour cantonner son film dans un format exploitable en salles, avait dû conclure plus vite qu’il n’avait commencé.
Quand bien même. Va, vis et deviens n’en demeure pas moins une œuvre originale et touchante, oscillant sans cesse entre la fresque romanesque et la fiction documentaire à dimension historique. Formellement sobre et parfaitement maîtrisé, le film porte en lui la force de conviction de son maître d’œuvre. Et sa principale qualité réside sans doute dans sa propension à faciliter le phénomène d’identification, clairement prôné par les choix narratifs. Visiblement à l’aise dans l’exercice de la mise en scène, Radu Mihaileanu conserve de bout en bout le contrôle de son sujet et de ses personnages, sans jamais perdre de vue son jeune héros. Aidé en cela par ses comédiens, également remarquables de justesse, il confère à son histoire une émotion jamais usurpée, presque palpable. Il explore les multiples possibilités offertes par son sujet, fort d’un message de vie, d’humanité, d’espoir et d’amour, dans le sens le plus noble du terme. Et renforce son propos d’un vibrant hommage à la figure maternelle, déclinée au travers des quatre personnages féminins principaux : la mère africaine, la mère falacha, la mère adoptive (formidable Yaël Abecassis) et la femme aimée, Sarah, future mère du fruit de leur amour.