Présenté en sélection officielle à Cannes où il a presque réussi à faire l’unanimité contre lui, La Source des femmes aurait pu avoir de jolis points communs avec L’Apollonide, souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello. Mais comme on pouvait le craindre, Radu Mihaileanu – pas loin de s’autoproclamer « réalisateur pour la paix des peuples » au regard de ses précédents travaux – sombre dans une démagogie totalement décomplexée et nous livre un film rance et désespérément caricatural.
Rassembler dans un même projet la fine fleur des jeunes actrices françaises d’origine maghrébine (Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Sabrina Ouazani) avait a priori de quoi susciter la curiosité. Surtout lorsque ces actrices de talent émergent sans le moindre complexe en plein débat politique sur l’identité nationale et qu’elles parviennent à s’imposer au sein de l’industrie cinématographique sans jouer systématiquement les beurettes de service, s’engouffrant dans la voie discrètement tracée par Lubna Azabal et Rachida Brakni il y a une décennie. C’est probablement cet aspect qui a séduit Radu Mihaileanu, réalisateur roumain lui-même exilé en France depuis les années 1980, conscient de ce que l’émergence en quelques années de ces nouveaux visages signifiait pour le grand public dans la mise à mal de stéréotypes persistants. Même si cela peut sembler antagoniste, ce n’est donc pas un hasard si le réalisateur a décidé de leur confier le rôle de villageoises soumises au diktat de leurs maris dans une contrée retirée d’un pays arabe indéfini et qui, pour dénoncer leur condition, entreprennent de faire « la grève de l’amour », autrement dit de les priver de sexe jusqu’à ce qu’ils cèdent à leurs revendications.
Dès les premières minutes, on sent bien que le réalisateur souhaite éviter le film politique et préfère s’engouffrer sur le terrain de la fable. C’est en effet bien plus pratique – on tient un propos universel totalement lénifiant qu’il serait bien difficile de ne pas cautionner – mais ce manque criant de courage se révèle aussi très casse-gueule. En effet, en refusant d’inscrire son propos dans la réalité culturelle d’un pays, Radu Mihaileanu se tire une jolie balle dans le pied, évitant soigneusement une somme de détails pourtant déterminants mais trop différenciants, et donne le désagréable sentiment que, de son point de vue, le sort des femmes arabes est le même, du Maroc à l’Égypte, en passant par l’Algérie ou la Jordanie. C’est un peu court, surtout lorsque les dernières révolutions arabes ont mis à jour la grande variété des problématiques dans chacun de ces pays. Si le cinéma n’a pas forcément à atteindre une véracité sur le plan de la représentation sociale, il doit néanmoins éviter ces amalgames douteux. Ici, ils donnent à croire que toutes les Nord-Africaines sont des volcans de sensualité (l’évocation des Contes des 1001 nuits n’est pas un hasard) écrasés par des hommes dont l’obscurantisme est à ce point bête qu’il n’a rien d’insidieux, d’ailleurs prétexte à de nombreux « gags » durant les deux longues heures de film.
La Source des femmes ne dépasse donc jamais le stade bon enfant, énonçant tous les stéréotypes les plus éculés sur les rapports hommes-femmes dans la culture musulmane. La religion est vaguement invoquée, notamment lors de lectures de phrases-clés du Coran qui aura pour but de rappeler aux spectateurs imbéciles que nous sommes que, bien évidemment, ceux qui obligent leurs femmes à se soumettre et se voiler sont loin d’être les meilleurs pratiquants. Et comme le réalisateur semble un peu nous prendre pour d’ignorants Occidentaux se délectant de cet obscurantisme d’un autre âge, il se fourvoie presque malgré lui dans une douteuse mise en abyme au cours de laquelle un groupe de touristes assiste, malgré lui et l’air totalement béat, aux premiers règlements de compte villageois. Et pour achever de rendre la vision du film extrêmement confortable, la caméra virevolte au-dessus des magnifiques paysages (marocains, on peut le dire) et le scénario charge l’inénarrable Biyouna (révélée au cinéma par Nadir Moknèche dans l’incomparable Viva Laldjérie) d’amuser la galerie. Pour les trois jeunes actrices mentionnées plus haut, en dépit de leur talent (avec une mention Leïla Bekhti dont les grands yeux bruns constamment embrumés devraient inspirer autrement les réalisateurs), l’ineptie des dialogues et des situations qu’on leur soumet crée un véritable malaise.