Qu’est-ce qu’est un bon super-héros de cinéma ? Cette question, on n’attendait plus vraiment que la franchise Avengers se la pose enfin, tant les studios Marvel (dont certains des films ont cependant été défendus dans nos colonnes) se sont imposés non seulement comme le symbole de la sérialisation à outrance aujourd’hui souveraine à Hollywood, mais aussi le fossoyeur d’un genre jadis inventif. Car il semble bien loin l’âge d’or des années 2000, où Les Indestructibles, la trilogie Spider-Man de Sam Raimi ou les X‑Men de Bryan Singer imposaient définitivement la figure du super-héros comme incontournable dans le champ du blockbuster. Surprise, donc : c’est bien Ant-Man qui opère un retour, sans crier gare, à la définition idéale du film de super-héros, soit un film où les pouvoirs en question sont véritablement moteurs des scènes et de leur forme, ce qui distingue d’emblée le film de Peyton Reed des autres productions Marvel, épisodes d’un gigantesque feuilleton cinématographique aux figures sans étrangeté. Paradoxe, car par essence le super-héros est un mutant – ce n’est d’ailleurs guère un hasard si de nombreux films de super-héros sont avant tout des récits d’adolescences. Or, ces dernières années, les mutants ont laissé place à des übermenschen torturés (Batman, les demi-dieux bodybuildés d’Avengers), amidonnés dans un esprit de sérieux (Batman, toujours) ou noyés dans un programme d’action qui ne se polarise non plus sur les corps mais sur des batailles titanesques, illisibles, basculant dans le destruction porn.
Dans ce contexte la réussite d’Ant-Man, blockbuster astucieux et malin, tient autant à sa modestie qu’à son goût pour l’hybridation. Modestie, car le film se concentre sur un personnage lilliputien dont l’objectif est, tout simplement, d’être un bon père. Hybridation, car le projet tente de concilier deux genres a priori incompatibles : le film d’action Marvel et la comédie américaine versant Apatow – Adam McKay (Anchorman, Frangins malgré eux, Very Bad Cops) est ainsi coauteur du scénario, au même titre que Paul Rudd, par ailleurs et surtout interprète de l’homme fourmi. C’est la plus belle idée du film : faire endosser à un acteur dont la légèreté et la drôlerie sont aux antipodes de ce cinéma à la fois englué dans un second degré (clins d’œil adressés à répétition au spectateur geek-complice) et menacé par une hypertrophie des enjeux (on doit, littéralement, sauver le monde à chaque film), le rôle d’un voleur gringalet qui doit apprendre à franchir une porte par le trou de sa serrure. L’effraction est à vrai dire double : d’une part le récit suit la préparation d’un casse, de l’autre le « film comique » infiltre progressivement le « film d’action » pour y réinjecter de la bande dessinée.
Up and down
Car peu à peu, Ant-Man, après une mise en place que l’on pourra juger un tantinet longue, épouse un dispositif aussi simple qu’implacable : le héros passe son temps à alterner de taille et à naviguer entre le monde réel (son corps est alors normal, sans pouvoirs) à sa version miniaturisée – ce qui de fait implique que le pouvoir affecte autant son détenteur que l’espace qui l’entoure. Plastiquement, la mise en application du principe déçoit toutefois un peu, à l’exception de quelques scènes (dont une, inaugurale, dans une baignoire) et de morphings en 3D où l’homme fourmi semble comme happé dans une autre dimension, mais la mise en scène trouve dans ce principe de va-et-vient une inspiration burlesque qui participe grandement au plaisir pris devant les scènes d’action. Précisément parce qu’elles reposent sur des jeux d’échelles particulièrement ludiques mais aussi de nombreux changements d’échelles déplaçant soudainement l’action dans le monde de taille normale (un train lancé à toute vitesse, puis ramené à sa condition de jouet miniature) ou, au contraire, qui renversent l’enjeu par l’agrandissement d’objets dans l’espace du quotidien (le même train qui d’un coup voit sa taille multipliée au centuple, jusqu’à traverser le toit d’une maison). De sorte qu’un plan déborde sur celui qui le suit, ce qui organise le décalage. À son meilleur, le film fait de cette logique de débordement une source de ruptures de tons (discontinuité : un plan vient ridiculiser le souffle épique du précédent) mais aussi le moteur de scènes qui visent au contraire à une accumulation (principe de continuité poussé à l’extrême, jusqu’à l’absurde : les nébuleux récits gigognes du side-kick gangsta, où tous les protagonistes, hommes comme femmes, parlent avec la voix et l’accent prononcé du narrateur). Opération réussie : il aura donc suffi d’un peu d’intelligence et de roublardise pour faire d’un film Marvel un divertissement de bonne tenue.