Décidément, Agatha Christie revient à la mode… tous les Pascal du cinéma français vont-ils s’y mettre ? Après Pascal Thomas et son Heure zéro qui n’allait pas bien loin, voici le scénariste des eaux troubles, Pascal Bonitzer, qui s’attaque au Vallon. Entre interprètes parfaits et intrigues déséquilibrées, on vacille quelque peu : essayant de renouveler le film choral en l’assaisonnant de suspense, Bonitzer paraît un brin bancal, bien que plaisant, mais réussit à conserver son univers original.
Il faut avoir un sacré melon ou une sacrée ambition pour reprendre un titre d’Hitchcock. Le Grand Alibi n’est cependant pas un remake : la descendance (ou l’amour) du réalisateur de Vertigo ou de Psychose est pourtant évidente. Bonitzer, comme son maître passager, préfère tout au long du film le hors-champ. On ne verra donc que très peu le crime lui-même, et même les démêlés de l’intrigue : pas de police, de sang ou de poursuites dans l’air, pas non plus de long développement psychologique. On ne comprend des personnages que ce qui lie chacun avec l’ensemble du groupe : la dynamique agathachristienne fonctionne en cela à merveille, avec tout ce qu’elle comporte de faux rythmes, de stratégies d’attente et de rebondissements que tout lecteur assidu de l’inventrice de Miss Marple comprendra très rapidement. C’est peut-être en cela que le film pèche le plus : coincé entre le mimétisme hitchcockien et la peinture de groupe, Bonitzer ne soigne pas assez son intrigue.
C’est donc dans les alentours de Dampierre que les Pages organisent un week-end d’amis : Henri Pages, sénateur, s’entoure de Pierre Collier, de Claire ‑femme de Pierre‑, d’Esther ‑maîtresse de Pierre, et de Léa ‑passion passagère ancienne de Pierre. Comme il faut toujours tuer le dindon avant d’ajouter la farce, c’est le psychanalyste Collier, enchaîné affectivement de toutes parts, qui va mourir : retrouvé avec l’arme du crime à la main devant le cadavre de son mari, c’est Claire qui fait la coupable idéale… on n’en dira pas plus évidemment. On ne dira jamais assez que ce genre de film ne fonctionne jamais, comme c’était le cas de L’Heure zéro, sans des acteurs capables d’insuffler du mystère dans la banalité, capable de devenir suspects à tout de rôle : et, contrairement à la bande de Pascal Thomas, celle de Bonitzer fait mouche. Si l’on excepte quelques jeunes filles légèrement fausses, on retrouve avec plaisir quelques piliers du cinéma hexagonal comme Miou-Miou (parfaite en maîtresse de maison contrariée par un crime dans sa piscine tout juste chauffée, et trouvant que « travailler dans l’humanitaire est une drôle d’idée »), l’éternel brillant Pierre Arditi, et surtout Anne Consigny et Matthieu Demy (trop rare), parfaits dans les rôles de losers incompris et sous-estimés.
Bonitzer ne se contente cependant pas de dévoiler ce sur quoi le cinéma français à trop tendance à se reposer : de bons interprètes, et des dialogues ciselés. Il se moque pas mal du coupable ‑que, là encore, les habitués du genre trouveront- : c’est la mécanique dramatique qui l’intéresse, la façon dont chaque personnage se dessert, apparaît dans toute sa vérité, sa médiocrité ou son panache. Le seul problème est que Bonitzer, construisant sa fausse linéarité, rate quelque peu les scènes-clés, importantes malgré tout, dans un tel cluedo : l’ouverture comme le dénouement, sans être attendus, cassent l’atmosphère délétère du film. Comme si, pour prendre le contre-pied de la qualité française, il en oubliait presque de raconter une histoire.
Le Grand Alibi est en fait un mélange assez curieux d’enveloppe traditionnelle ‑les dialogues, les acteurs, le genre- et de touche personnelle bonitzerienne ‑le malaise constant, la folie policée. Peut-être est-ce la raison d’une certaine surprise devant un tel objet… si le traitement n’est pas parfait, on retient donc tout de même que Pascal Bonitzer ne s’est pas laissé aller si facilement que cela à l’adaptation de qualité française.