Pascal Bonitzer aime l’humour, le mystère et le nonsense parfois. Il ne déplaît pas en cela, son film, à l’image de ses anciens Rien sur Robert et Petites coupures. Il réussit d’ailleurs à créer un monde particulier, qui est celui du contraste permanent des hommes et du monde dans lequel ils évoluent, celui aussi d’un humour plaisant et frais. Mais la mise en scène léchée, précise et parfois trop carrée a tendance à glacer un film qui aurait gagné à la légèreté.
L’écrit pose problème pour Pascal Bonitzer : dans son deuxième film Rien sur Robert, Fabrice Luchini était raillé pour avoir critiqué un film qu’il n’avait pas vu, faisant référence à la polémique qu’Alain Finkelkraut avait créé autour d’Underground d’Emir Kusturica. Mêlant toujours fiction et réalité, le réalisateur de Petites coupures s’appuie cette fois sur le bras de fer que la sortie de Rois et reine avait entraîné entre Arnaud Desplechin et Marianne Denicourt. Il s’interroge une nouvelle fois sur le processus de création : « Qu’est-ce que veut dire être un créateur, un écrivain, un auteur, quand on utilise, peu ou prou, la vie des gens qu’on a connus de plus ou moins près… ? » Le titre s’expliquerait donc ainsi : Pascal Bonitzer a vu certaines choses ; la création pour lui est une utilisation lointaine, une inspiration dans la réalité. Là où certains préfèreraient injecter du réalisme dans une fiction totale, Bonitzer part d’une réalité pour mieux la contourner. Gare aux procès. Comme le dit Worms : « Je me fous de la réalité, pas de la vie. »
Il construit tout d’abord une galerie de personnages, non autour d’un autre personnage central, mais bien d’un écrit, donc d’un matériau : Worms a vécu avec Diane, en a écrit un livre. L’écrit est invention mais également vengeance, ou manipulation. Hermann vit à présent avec Diane et décide de publier l’œuvre de son ancien rival. Entre-temps, Hermann a rencontré son ex-maîtresse, Anne, une suicidaire qui vit avec son thérapeute. Si tout passe par le dialogue, le va-et-vient de chacun et le tourbillon ainsi créé, c’est pourtant le physique qui sépare ou rapproche chaque humain des autres. Des corps rigides ou mouvants, des hommes qui courent, qui hurlent, qui jouent en fait.
On remarquera en ce sens la finesse de certains dialogues, et la drôlerie d’autres : obsédé par l’antisémitisme, Hermann voit des xénophobes et des antisémites partout. Incapable d’exister autrement que comme « vrai Juif », il prend toute opposition humaine comme une insulte à sa religion et à ses origines, donnant lieu à des scènes plus ou moins cocasses. Bonitzer pointe avec humour le danger ou le ridicule des raccourcis en faisant dire à Worms : « Ce sont des pensées ignobles. Ce sont des pensées. » Mais comme dans Petites coupures, une sorte de mystère se ploie au fur et à mesure que Je pense à vous avance. Une froideur que l’on ne comprend pas toujours. De la comédie enjouée des poursuites dans le Luxembourg que l’on voyait déjà dans Rien sur Robert, on passe rapidement à une sorte de tragédie inquiétante, toujours récupérée cependant par le registre comique. Parce qu’au-delà des parties de ping-pong parlées, les personnages combattent, même si « chez nous, en France, on ne se bat pas, sauf chez les routiers. » Mais ces gros plans, ces angles mis en permanence en relief, ces contrastes de gris lumineux et de blanc glacial (Bonitzer aime Tourneur), plombent un brin un film qui gagnerait à assumer une sorte de légèreté, une originalité ludique.
Pascal Bonitzer a sans doute voulu faire un film sur la vraie fausse authenticité de celui qui écrit sa vie et s’en sert pour reconstruire celle des autres. Mais, alors que le ton est rythmé, enjoué, et que les acteurs semblent nager avec bonheur dans le bocal de l’étrangeté, on se sent parfois exclu de ce « quelque chose de froid et de lointain dans le regard qui se jouait du malheur. »