Sur le papier, Le Kiosque a tout l’air d’un Wiseman miniature empreint d’une tentation pittoresque. Le film est en réalité tout autre chose, car contrairement au grand documentariste américain des institutions, Alexandra Pianelli filme de l’intérieur, à la première personne. Derrière le comptoir du kiosque de la place Victor Hugo dans le seizième arrondissement de Paris, Alexandra Pianelli endosse ainsi deux rôles : celui de kiosquière, comme sa mère et sa mère avant elle, et celui de filmeuse. Cette double casquette donne toute sa saveur au film, qui alterne discussions impromptues avec des clients habitués et observation de la petite fenêtre sur le monde que constitue la vue depuis la caisse. Presque invisible aux yeux de la plupart des passants, le kiosque semble être un lieu paradoxal : il contient le monde au travers de plus de mille publications, mais sa vitalité repose surtout sur sa fonction de lieu social de proximité. Les scènes les plus belles ressemblent ainsi à des vignettes sociologiques, comme lorsque le sans-abri lecteur d’Aujourd’hui en France donne quelques pièces à une passante à la recherche d’un ticket de métro pour rentrer chez elle. Le dilemme moral presque rohmérien qui s’ensuit pour la jeune femme (elle se demande si elle peut accepter cet argent) est aussi embarrassant que savoureux.
Entre deux rencontres avec des clients, Alexandra Pianelli propose également des petits cours de vulgarisation sur la distribution de la presse, à l’aide de petites maquettes en carton fabriquées sur le comptoir. Le didactisme de ces interludes à la C’est pas sorcier, certes intéressants, voire édifiants sur l’absurdité de certains rouages, déçoit un peu en ce que l’on aimerait accéder à ces informations par des scènes plus incarnées. Prise en étau (dans environ 2m²), la réalisatrice s’empêtre parfois dans son projet de mise en scène, multipliant les pistes et les angles entre son téléphone et sa caméra portative. La fragilité de certains choix, auxquels on peut ajouter une certaine absence de durée dans les scènes (le lent passage du temps durant ces longues journées nous est seulement raconté), relève cependant d’un certain aspect bricolé plutôt attachant, presque ingénu, qui va de pair avec le style des beaux croquis de clients ponctuant le montage. C’est un petit film qui raconte un grand drame, celui d’une institution qui se délite, et dont la fin brutale et pourtant inévitable accouche d’une émouvante tristesse résignée. Tentative d’épuisement réussie.