À la suite de Visions du réel et de We Are One (manifestation diffusée sur Youtube à l’initiative de grands festivals, permettant de voir des films récents et de lutter contre le Covid-19 grâce à un appel aux dons), le Champs-Élysées Film Festival dévoilait cette année une édition en ligne gratuite, ponctuée de masterclasses et de performances musicales en live. Comme un écho au confinement, qui a eu tendance à restreindre les espaces, plusieurs films parmi les plus intéressants de la sélection faisaient le choix d’une représentation à petite échelle.
Dans Le Kiosque, qui s’ouvre sur un lever de rideau et s’achève une fois ce dernier retombé, la cinéaste et vendeuse de journaux Alexandra Pianelli bricole un petit théâtre d’objets lui permettant de raconter avec didactisme et légèreté la crise de la presse papier en France. Grand comme deux pas, son espace de travail semble pourtant accueillir le monde entier grâce à la courte focale, qui agrandit le champ, et aux journaux venus de l’étranger. La diversité des clients lui permet également d’évoquer les questions a priori lointaines du sans-abrisme, de l’immigration ou encore du sexisme. Le kiosque, dissimulant les légumes d’un ami vendeur à la sauvette ou se transformant en bar le temps d’une soirée, ressemble alors au sac sans fond de Mary Poppins ou au Bus magique, qui se métamorphose selon les occasions. Il fait aussi office de musée, abritant le portrait de ses visiteurs les plus fidèles et conservant la mémoire familiale dans les alvéoles destinées à rendre la monnaie, où les ancêtres de la réalisatrice ont laissé la marque de leurs doigts. Rythmé par de nombreuses entrées et sorties (celles des journaux, des clients ou même de la nourriture), Le Kiosque se révèle surtout être un passionnant territoire d’échanges.
À L’Abordage de Guillaume Brac
Dans À L’Abordage de Guillaume Brac, l’ensemble du film est résumé par un simple numéro de clown, dans lequel une femme échoue sans arrêt à grimper à bord d’un radeau. Après L’Île aux trésors, le cinéaste continue ainsi de réinventer le film d’aventures, dont il livre ici une version burlesque et utopique à travers l’histoire de trois jeunes garçons en vadrouille qui ne cessent d’enchaîner les déconvenues. S’il met d’abord en scène des archétypes (l’éternel optimiste, le fils à maman ou encore le timide à l’âme sensible, rappelant le personnage incarné par Vincent Macaigne dans Un monde sans femmes), c’est pour mieux ensuite les désamorcer. Les masques tombent lorsque le jeune conducteur Édouard découvre que ses passagers Félix et Chérif ne sont pas des femmes ou lorsque ce dernier essaie de faire croire à son employeur que sa grand-mère est morte pour obtenir quelques jours de congé. Une fois les personnages mis à nu, les différences physiques, politiques ou sociales s’effacent et permettent à des êtres en apparence incompatibles de se rassembler. Né dans la fureur d’une nuit parisienne, le film se clôt dans la clarté immobile d’une chambre, transformant le trajet des personnages en un véritable voyage initiatique.
Il est également question de « théâtres miniatures » dans l’un des monologues énigmatiques qui ponctuent Los Conductos de Camilo Restrepo. À cheval entre fiction et documentaire, le film dresse le portrait d’un marginal nommé Pinky (qui interprète ici son propre rôle), émancipé d’une secte dont il a tué le leader charismatique. Le générique, avec ses couleurs vives, ses formes aiguisées à la manière d’une lame de couteau et sa bande-son industrielle, donne d’emblée le ton de cette fable sombre et poétique. Les multiples mouvements circulaires et verticaux ainsi que les fréquents plans de lune et de mains traduisent la répétitivité infernale d’un quotidien rythmé par le travail à la chaîne. Le monde dans lequel évolue le protagoniste est semblable à une gigantesque passoire, trouée en de nombreux endroits. Ces creux (formés par l’impact d’une balle, le réservoir à essence d’une moto ou encore l’intérieur d’un mur) apparaissent autant comme des interstices où le personnage se glisse pour échapper aux mailles de la société que comme la métaphore de sa chute perpétuelle.
Los Conductos de Camilo Restrepo
Dans Retiens Johnny, c’est la Madeleine qui se mue en théâtre des passions lors des hommages consacrés à Johnny Hallyday, dont Simon Depardon, Arthur Verret et Baptiste Drouillac étudient ici les différents modes de survivance. Rockeurs en blouson de cuir noir et membres de l’Église tout de blanc vêtus y forment une étrange assemblée, réunie par la conviction que la vedette tient son talent du Créateur lui-même (« J’ai perdu mon Dieu », déclare un admirateur). Johnny se situe pourtant loin du désintéressement vanté par un prêtre en début de cérémonie puisqu’il continue d’alimenter tout un business qui va des foulards tête de mort jusqu’au disque posthume que la foule s’arrache le jour de sa sortie. La cohue rappelle alors celle des manifestants qui revêtiront ironiquement d’un gilet jaune une silhouette en carton à son effigie. Johnny subsiste enfin à travers le corps de ses fans, qui ont tous adopté sa coupe de cheveux, son look et la même attitude que lui. Certains vont jusqu’à faire de leurs similitudes avec l’artiste un moyen de gagner leur vie, voire de devenir célèbre à leur tour, à l’image de ce chanteur qui se dit habité par la voix de son maître et se comporte comme une star méprisante. Si le film semble parfois porter un regard amusé, voire critique, sur cette petite communauté, il se garde pourtant bien de tout jugement. La fin, qui montre un fan transcendé par l’énergie de son idole, s’avère même plutôt touchante : elle est la preuve que la croyance, quel que soit son objet, aide avant tout à vivre et à se dépasser.