Philippe Lefebvre, acteur (Safari, Les Randonneurs à Saint-Tropez, Le Premier Jour du reste de ta vie…) et scénariste (Seuls Two, Pur week-end, Ne le dis à personne…), réalise avec Le Siffleur son premier long métrage, en adaptant le roman de Laurent Chalumeau, Maurice le siffleur. Des stars françaises (François Berléand, Thierry Lhermitte, Sami Bouajila, Clémentine Célarié…) y incarnent des personnages fortement stéréotypés, implantés dans un décor cannois que sa flamboyance rend exaspérant, et qui vivent une aventure retenant bien trop peu l’intérêt.
Sous le soleil de Cannes, Armand Teillard (François Berléand), la soixantaine, coule des jours paisibles. Financièrement à l’aise, il attend sa retraite en partageant son temps entre son magasin de prêt-à-porter, sa sulfureuse et aimante maîtresse (Clémentine Célarié), sa collection de vinyls. Armand est un homme simple et gentil, trop gentil. Il se laisse en effet marcher sur les pieds : considérant qu’il est vain de ternir la vie par des querelles, il laisse un inspecteur des impôts véreux (Alain Chabat) le plumer allègrement, et le barman d’à côté installer sa terrasse devant sa vitrine. Si ces contrariétés sont pour lui si bénignes, c’est qu’elles ne l’empêchent pas de s’adonner à son moment de bonheur quotidien, ses déjeuners à l’Aline Roc. Dans cet ancien restaurant ombragé, la même table face à la mer, les mêmes patrons avenants, le même poisson grillé et le même verre de vin attendent tous les jours Armand, qui prend depuis des années le même plaisir à profiter de ce havre paradisiaque. Seulement voilà, un beau jour, l’Aline Roc est menacé. Un promoteur immobilier, Jean-Patrick Zapetti (Thierry Lhermitte), veut le raser pour y construire un complexe hôtelier pour milliardaires russes. Pour ce faire, il ne lésine sur aucune corruption d’élus locaux, et n’hésite pas à envoyer deux petites frappes, Karim (Sami Bouajila) et Xavier (Fred Testot), terroriser les restaurateurs propriétaires. Armand va t‑il, comme d’habitude, se résigner ?
Moins par prise de conscience de la lâcheté qui lui est constitutive que par impossibilité à concevoir sa vie sans l’Aline Roc, Armand réagit. Et appelle son frère jumeau Maurice à la rescousse. Sûr de lui, provocateur, cynique, autoritaire, élégant, roulant en cabriolet, un brin mafieux, « Maurice le siffleur » est l’homme de la situation, apte à faire reculer le promoteur sans scrupules. Si l’affaire est un peu retorse, c’est que Maurice n’existe pas, qu’Armand l’a inventé pour prendre son apparence, s’inventer une personnalité capable de prendre les choses en mains, et par là commencer une seconde vie. Faisant croire à son entourage qu’Armand est parti en voyage, il fera de son mieux pour mettre à mal les magouilles des malfrats et sauver l’Aline Roc.
Le Siffleur regorge de stéréotypes. Celui de l’infâme homme d’affaires, de l’idiote bimbo opportuniste qui lui sert de maîtresse (Virginie Efira), du duo de petits truands inefficaces, l’un (Sami Bouajila) étant censé être le cerveau, l’autre étant un abruti fini assoiffé de violence. S’intéressant à des endroits authentiques tels que l’Aline Roc, et à des personnages cannois, on aurait aimé que le film mette en scène la vie des autochtones, le quotidien de la région. Mais on sent dès le premier plan qu’il nous emmènera de yachts en splendides villas, de boutiques de luxes en routes parcourues par voitures de course…, apparemment indissociables d’un film situé sur la Côte d’Azur. La façon de filmer exaspère tant elle vise à rendre époustouflants les lieux de rêve, les personnages hauts en couleur, la mer et le soleil omniprésent qui encadrent cette histoire soi-disant palpitante. Exhiber cet univers censé être paradisiaque pour créer chez le spectateur une frustration qui le fera se délecter de la possibilité qu’on lui offre, pour quelques instants, de partager ces vies de rêves, est une ambition détestable. Envie, convoitise, fascination devant le luxe et les aventures, immersion dans un divertissement improbable, sont bien les plus viles émotions à susciter chez le spectateur. On serait tolérant si le film faisait acte d’inventivité, si ses personnages retenaient l’intérêt, si les dialogues, stylés dans le roman d’origine, détonnaient, mais il n’en est rien. Il serait inutile d’en rajouter en évoquant le happy-end tant attendu.
Se réclamant de Jean-Pierre Melville, Henri Verneuil (Mélodie en sous-sol), Gilles Grangier (Le cave se rebiffe) et Michel Audiard, Philippe Lefebvre a voulu faire un film jubilatoire et ludique. Mais en regardant Le Siffleur, on s’ennuie et on s’agace. Le duo des malfrats est notamment exaspérant. On se lasse du personnage de Sami Bouajila, dont l’attitude n’évolue pas d’un iota (il trouve une idée pour mener à bien le projet de son patron, met son plan à exécution, échoue lamentablement). Et on s’irrite de la moindre intervention de son idiot de complice, qui a autant de muscles et d’envie de s’en servir qu’il a peu de cervelle. La bimbo passant son temps à se faire les ongles en bronzant, tout en calculant comment continuer à être entretenue, ne retient pas un instant l’intérêt. Thierry Lhermitte fait parfois (sou)rire, tant son personnage pousse à bout l’abjection et la grossièreté. Mais on est navré de voir Clémentine Célarié incarner pour la énième fois le rôle de la femme plantureuse, mûre, fantaisiste et pleine de vie. François Berléand s’en sort en revanche très bien. À l’origine du projet (c’est lui qui a proposé le roman de Laurent Chalumeau au producteur Alain Attal), déjà choisi par Philippe Lefebvre lorsqu’il écrivait le scénario, on le sent investi dans son double rôle, de l’attachant Armand et du cynique Maurice, qu’il semble avoir interprété avec plaisir et incarne avec un certain raffinement. Il n’en reste pas moins qu’en adaptant Laurent Chalumeau, Philippe Lefebvre aurait pu faire un film intelligemment grinçant et décalé, mais qu’il reste au niveau du divertissement le plus convenu. Même dans la grisaille de l’hiver pendant lequel le film sort, on doute de sa capacité à ensoleiller la vie des spectateurs qui s’y seront risqués.