Pour sûr, Guillaume Canet est volontaire et appliqué. Ne le dis à personne, son second film de réalisateur après Mon idole en 2002, place la barre très haut : signer un thriller ambitieux, héritier d’une tradition scénaristique et visuelle très américaine, en lorgnant tout particulièrement vers le maître absolu en la matière, Alfred Hitchcock. Pas sûr, hélas, que celui-ci aurait apprécié ce film honnête mais mollasson, qui ne se décide jamais à sortir des sentiers balisés malgré un acteur principal, François Cluzet, capable de jeter un peu de trouble dans un divertissement trop limpide.
Ne le dis à personne, adapté d’un best-seller de Harlan Coben, fait directement référence à Sueurs froides (jusque dans le graphisme de l’affiche, honteusement pompée sur les créations de Saul Bass, artiste précurseur à l’origine des visuels et génériques mythiques de Sueurs froides, Autopsie d’un meurtre, La Mort aux trousses et Psychose, entre autres). Alex et sa femme Margot forment un couple parfaitement heureux jusqu’à ce que celle-ci soit sauvagement assassinée par un serial-killer. Retrouvé inconscient sur le lieu du crime, soupçonné puis rapidement acquitté, Alex sombre dans la déprime. Huit ans plus tard, il reçoit un mystérieux e‑mail anonyme avec en pièce jointe, une vidéo montrant une femme perdue dans la foule… Alex reconnaît le visage de Margot. Dès lors, sa vie bascule.
Tout amateur de thriller alambiqué aux rebondissements multiples devrait trouver un tel pitch fort alléchant, et il y a de quoi : en deux heures cinq, Ne le dis à personne compte plus de retournements de situations que dans l’entière filmographie de M. Night Shyamalan. D’autant plus que Guillaume Canet a le bon goût de ne pas trop faire le malin côté mise en scène : si on peut lui reprocher une esthétique très léchée digne des grosses productions hollywoodiennes, tout au moins réussit-il à éviter les pièges d’un montage frénétique et autres cadrages superflus. Même s’il n’y réussit pas toujours, Canet tend vers une certaine élégance désuète, issue de la volonté louable de ne pas laisser l’image prendre le pas sur son scénario et ses acteurs.
Syndrome du comédien passé à la mise en scène ? À la façon d’une Nicole Garcia, Guillaume Canet doit sans doute jouir d’une réputation flatteuse de directeur d’acteurs au sein des gens du métier. Le casting de Ne le dis à personne ressemble à un embouteillage un soir de remise des César. La possibilité donnée à chaque comédien d’incarner un personnage aux antipodes de son emploi habituel y est pour beaucoup : Marie-Josée Croze en femme mystérieuse, André Dussollier en beau-père ambigu, Kristin Scott-Thomas en meilleure copine lesbienne, François Berléand en flic pince-sans-rire, Nathalie Baye en avocate star du barreau, Gilles Lellouche en caillera sympa (par ailleurs, vraie révélation du film)… Et en tête d’affiche, l’éternel second rôle François Cluzet. Si on peut prendre un certain plaisir à voir défiler ces visages connus pour parfois quelques minutes à peine, la meilleure idée de Guillaume Canet est d’avoir confié le personnage principal à Cluzet qui devrait, avec le succès probable du film, retrouver des rôles à la mesure de son talent : grâce à lui, Ne le dis à personne emprunte de temps à autres des détours inédits, entraînant le simple divertissement vers des profondeurs inhabituelles dans une production de ce genre. Le comédien offre à ce rôle à la Harrison Ford un réalisme bienvenu, lorgnant même de temps en temps vers une étrangeté presque lynchienne que le pauvre Canet est hélas bien incapable d’exploiter comme il se doit.
Car si Ne le dis à personne n’est pas un abominable ratage putassier façon Les Rivières pourpres et autres Empire des loups, il se garde bien de s’aventurer au-delà des frontières très délimitées du film de genre, ce que son sujet potentiel (la schizophrénie) aurait pu suggérer. Au lieu de quoi Guillaume Canet s’applique à maintenir une certaine tension, alignant quelques morceaux de bravoure (un carambolage sur une autoroute) tout en prenant soin de travailler juste ce qu’il faut la psychologie de ses personnages de manière à les rendre suffisamment crédibles. Mais les nombreux rebondissements ne parviennent jamais à masquer la linéarité du propos, et l’absence totale de prise de risques entraîne rapidement le film vers l’ennui – d’autant plus que le final, d’un conformisme confondant, devrait décevoir même les plus indulgents amateurs de thriller du samedi soir. Dommage, pour un film qui aurait tant gagné à flirter avec le danger…