Âpre et plutôt adroitement mené malgré sa psychologie parfois lourdingue, le survival de Joe Carnahan (Narc, Mi$e à prix, L’Agence tous risques…), fait essentiellement preuve d’une assez renversante efficacité dans ses scènes d’action. Clairement pas le roman analytique de l’année, mais au moins le film remplit-il sa mission première.
On s’en doutait un peu : en dépit d’un titre VF aux accents de documentaire animalier, The Grey (métonymie infiniment préférable, du gris des loups comme du bleu du ciel, au milieu du grand blanc) vise moins la vérité zoologique que l’intensité cinématographique dans sa représentation des loups. Ces derniers, sorte de bêtes du Gévaudan quasi surnaturelles, sont animés d’une hostilité si persistante (anthropomorphisme assumé et presque comique) que le survival se trouve rapidement tiré vers le slasher horrifique en forêt, à mesure que les personnages se font dégommer un par un. Justification avancée : la proximité de leur tanière hystérise ces loups, « aussi omniscients et tout-puissants que les rivières, le blizzard ou que tout ce que ces survivants vont rencontrer ». Voici donc la Nature une nouvelle fois investie du rôle d’impitoyable fléau, et dotée d’un bras armé tendance furie apache qui cohabite étrangement avec le réalisme maniéré de la réalisation – laquelle, il faut le reconnaître, embraye d’autant mieux que le tournage a eu lieu sur place, dans des conditions extrêmes et des paysages hautement ciné-géniques.
Soit donc l’histoire d’un groupe de survivants crashés au milieu de nulle part, poignée de durs à cuire venus se perdre en Alaska au service d’une compagnie pétrolière, présentés tels douze salopards durant quelques scènes de caractérisation lapidaire. De braves types avec un bon fond et de la famille au pays, même dans le cas de l’inévitable tête de lard de la bande, apprendra-t-on en chemin. À leur tête, l’antihéros Liam Neeson, féroce bad ass des neiges… dont l’ordinaire consistait précisément à sniper les animaux sauvages rôdant un peu trop près des installations – à défaut sans doute de pouvoir leur péter l’épaule comme aux Albanais de Taken. Il y a de la revanche dans l’air…
Cette humanité façon Ailes de l’enfer qui cherche à s’extraire de l’enfer blanc et d’une zone de « periculus lupus maximus » hâtivement dessinée se trouve ainsi guidée, chose singulière et pas inintéressante dans un survival, par un être suicidaire, tension qui fait tout l’intérêt du très archétypal monologue du début, avant une scène de crash absolument scotchante – même Paul Greengrass prendrait des notes. On touche à l’étude de caractères, motif secondaire du film (embarrassé ensuite par le prévisible ballet antagonisme-fraternité des naufragés), puisque la question sera dès lors : qu’est-ce qui pousse un tel homme, certes passé maître dans l’art du combat mais dont quelques flashbacks pas finauds nous referont mesurer l’abyssale désespérance, à vouloir survivre, alors qu’il n’a plus qu’à se laisser mourir pour obtenir ce qu’il cherche ? Précisément la notion de combat, scandée par un belliqueux quatrain paternel ; la survie sans souci de survie. C’est basique, mais tout autant qu’une certaine forme du combat, et l’épure convient visiblement de mieux en mieux à Neeson dans sa nouvelle pelisse d’action star sur le tard, qui plus est dans un décor élémentaire et congelé – images d’une réelle beauté formelle. Disons qu’on échappe en tout cas au non-sens.
Le paradoxe du film est ensuite, entre deux brillantes scènes d’action (Carnahan a hérité des frères Scott une belle efficacité en ce domaine), de se laisser régulièrement appesantir par une certaine aspiration au drame psychologique (assailli par la Nature, l’homme se révèle et se confronte à lui-même etc.), alors même que les dialogues se montrent souvent moins caricaturaux que les situations dans lesquelles ils prennent place. Bref, The Grey se joue de quelques poncifs pour mieux s’engluer dans d’autres ; et bizarrement, l’attelage avance quand même. On apprécie au passage le nihilisme vindicatif qui suit une adresse à Dieu de Neeson restée sans réponse, ou l’orchestration habile des bruits, des silences et de la musique, économie qui resserre l’intensité dramatique autour des péripéties – chute violente d’un arbre, noyade dans une rivière…
En parcourant le dossier de presse, on apprend encore que les acteurs, dont chacun campe un archétype, ont regardé Délivrance avant d’aller se cailler au septentrion. Si l’on prend note de l’inspiration (plutôt convenue puisqu’on parle d’un parangon du genre), encore faut-il préciser que la comparaison ne paraît pas forcément opportune – ou bien l’étincelle lubrique dans l’œil du loup nous a‑t-elle échappé. Dans sa deuxième partie, en voulant s’accroître d’une portée plus vaste, tandis que la meute le cède provisoirement aux éléments, le film perd un peu d’influx. Mais il faut reconnaître que l’aboutissement de cette marche désespérée met au jour une ambition narrative louable (mieux qu’un twist, la cruauté d’une expression), laquelle vient rappeler à temps que The Grey est à la mesure de ce qu’il promettait d’être ; ensuite, tout est question de savoir si l’on souscrit au contrat de lecture.