Lorgnant très ouvertement du côté de la filmographie de Woody Allen (de l’aveu même du réalisateur Vincent Lannoo), Les Âmes de papier pense avoir trouvé en Stéphane Guilllon un équivalent français au cinéaste-acteur new-yorkais. Pourquoi pas. Verbeux et gesticulant, traînant un regard de chien battu d’un bout à l’autre du film, l’humoriste a la panoplie du pessimiste geignard et pince-sans-rire. Seulement, Vincent Lannoo ne se contente pas de faire, dans la lignée d’Allen, une comédie sur un sujet de drame (ici, le deuil) ; il tente aussi de sagement inscrire son film dans la tradition des contes de Noël, avant de n’avoir les yeux plus gros que le ventre et d’empiler tout un tas de thématiques pesantes. Tristement, la direction d’acteur se noie au milieu de cette curieuse tambouille et laisse les interprètes en roue libre – pour le meilleur (Pierre Richard, toujours aussi inépuisable, et sporadiquement Guillon, soufflant le chaud et le froid) ou pour le pire (Jonathan Zaccaï, tout en mimiques exaspérées et exaspérantes).
Le conte y est
Romancier, Paul (Stéphane Guillon) ne parvient plus vraiment à écrire depuis le décès de sa femme. Reconverti en écrivain public spécialisé dans les oraisons funèbres, il rencontre Emma (Julie Gayet) à un enterrement. Cette jeune veuve lui demande de réaliser, pour son fils, le portrait de son mari disparu un an plus tôt. Ni une ni deux, la relation professionnelle se mue en relation amoureuse. Rapidement mis en place, les éléments d’une bluette bien classique vont tenter d’aller braconner sur les terres du conte de Noël, sûrement dans l’espoir d’y trouver quelques bouffées d’originalité. Malheureusement, il n’en sera rien.
Une fois le fantôme du mari d’Emma (Jonathan Zaccaï) revenu d’entre les morts grâce à un petit jouet magique, l’intrigue navigue à vue, se fourvoie dans une impasse (rien ne semble obliger le spectre à laisser les vivants s’aimer tranquillement) et s’achève dans une queue de poisson peu satisfaisante (et pouf, le mari mort s’évapore, juste comme ça). Tout au long de ce détour par le fantastique qui permet à Paul et Emma d’enfin vaincre leurs démons, le film ne fait en réalité rien d’autre que se promener prudemment sur les lieux communs du conte de Noël. Tous les ingrédients y sont méticuleusement exposés : le vieux jouet désuet faisant figure de talisman, l’enfant candide et un brin mélancolique, le vieillard érudit un peu fou-fou recroquevillé au milieu de manuscrits et courant derrière une obsession, les plans carte-postale de Paris avec tour Eiffel sous le brouillard et passants devant les vitrines de Noël, etc. Frugal dans sa gestion d’un genre déjà bien exploité par le cinéma américain, Les Âmes de papier se révèle aussi – paradoxalement – bien glouton dans ses intentions et s’éparpille à force de vouloir trop en faire.
Accumulations embarrassantes
C’est peu dire que le mari-revenant est encombrant : obstacle à l’amour naissant d’Emma et Paul, il gêne aussi terriblement le scénariste et le réalisateur qui ne savent pas toujours quel rôle lui attribuer. Alors que, de facto, sa présence provoque la création d’un triangle vaudevillesque (femme, époux, amant) largement suffisant, le mystère de son retour s’avère être un terrain fertile pour tout un bouquet d’inepties. Notamment, rien ne semble plus grotesque que le moment où l’on comprend, avec les personnages, que le fantôme serait en fait une création de Paul et donc (cela va de soit) une sorte d’esprit hybride ayant le corps du mari d’Emma et les souvenirs de la femme du romancier. La bipolarité de l’ectoplasme devient, entre autres, le prétexte à une blague hétéro-beauf particulièrement embarrassante lorsque Paul et le spectre se remémorent une nuit torride avant de réaliser, rouges de honte, que cette conversation est inappropriée entre deux hommes.
Mais le plus gênant reste encore à venir : peinant à donner un sens à toutes ces tentacules narratives, le film convoque la Shoah afin de servir de cache-misère. C’est que, bien que rempli jusqu’à ras-bord, Les Âmes de papier se sait relativement creux et espère qu’en invitant la mémoire d’un enfant déporté dans sa farandole d’idées inachevées il pourra, sur un malentendu, boxer dans la catégorie supérieure et passer du téléfilm inconséquent au film d’auteur profond. La goutte d’eau qui fait déborder un vase bien vide.