Des vampires belges, c’est déjà, en soi, un programme assez réjouissant. Alors une famille de vampires belges dévoilant leur quotidien de suceurs de sang middle-class à de téméraires pseudo-journalistes, autant dire que c’est imparable. « Mockumentaire » macabre dans la lignée de C’est arrivé près de chez vous, Vampires ne suscitera peut-être pas le culte érigé autour de son illustre prédécesseur, mais cette réponse toute belge à la mode du vampire glam vaut méchamment le coup d’œil.
Quand des francophones se livrent à ce genre de noire dérision, c’est généralement qu’ils sont belges (ou grolandais, ce qui se vaut un peu) : après plusieurs essais infructueux (journalistes et cameramen passés par pertes et profits ; chassez le naturel…) et suite aux invitations intrigantes et répétées de la trop méconnue « communauté vampire de Belgique », une équipe de télé s’introduit dans l’univers d’une famille de vampires relativement « intégrée » — autant qu’on peut intégrer un vampire, légalement parlant.
Il y a tout d’abord Georges, le père, physiquement un vague cousin de Joe Pesci aussi pâle que l’oncle Fétide, manières et expressions léchées, une certaine idée du bonheur dans le plat pays, et de sérieuses difficultés avec ses « rejetons », Samson, play-boy écervelé, et Grace, nymphette en crise d’ado qui veut (re)devenir humaine. À ses côtés Bertha, femme-goule gentiment cintrée de ce couple aux mœurs banalement sanguinaires. Dans leur « frigo », « la Viande », ex-pute d’Europe de l’Est devenue gouvernante et dinde de Noël d’une famille que le gouvernement de Sa belge Majesté a le goût exquis d’approvisionner régulièrement en sans-papiers encombrants (à consommer avant la date de péremption), échange inédit de bons offices entre la nation reconnaissante et ses loyales sangsues nocturnes… Et puis les voisins, réussite comique incontestable, couple de vampires déclassés et faux-cul qui végète à la cave et peine à dissimuler sa rancœur derrière une politesse doucereuse. On vous laisse le soin de découvrir les péripéties et répliques saignantes de ce faux-docu parodique, grinçant et irrévérencieux, qui revisite avec une malignité jouissive le mythe vampirique et les différentes caractéristiques de ces créatures devenues à force de sagas hollywoodiennes des sous-mannequins pour biactol et gels fixants Garnier (on rappellera néanmoins l’existence du formidable Morse et autres Thirst, qui, eux, réinventent le genre). Ici, on tue ses nuits sans épargner gosses ou handicapés (ainsi a‑t-on la viande et le légume, dixit Samson).
Avec un pitch pareil, on se dit très vite que cela va être hilarant (et ça l’est, à plusieurs reprises)… et on se demande presque simultanément comment le réalisateur va pouvoir tenir la distance, éviter de verser dans le litanique passage en revue de stéréotypes décapés par sa belgitude caustique. On ne mise pas forcément cher de sa peau face à une telle entreprise — comme on miserait a priori peu sur les chances de survie d’une équipe télé au milieu d’une bande de vampires pas franchement convertis au jus de tomates. On a globalement tort. Même s’il accuse quelques baisses de rythme et se construit par à‑coups et fulgurances (c’est aussi le propre d’un reportage sur le vif), le mockumentaire ne cesse de partir à la relance, évite le systématisme en étendant son ambition satirique à quelques aspects du… système, ou tendances lourdes de l’humanité (naïf dans son cynisme ?). Comme le déclare son auteur, Vampires prend alors l’aspect d’une « comédie politique », ou plutôt d’une satire de l’être humain via son prédateur (soumis à des conjonctures bien humaines, pour le coup).
Mon tout distribue donc une galerie de personnages impayables au rang desquels l’opportuniste croque-mort refourgueur de cercueils usagés campé par Julien Doré, qui s’en tire avec les honneurs (mettre son nom en quasi-tête d’affiche pour deux brèves apparitions sent tout de même le coup marketing, mais c’est de bonne guerre), un directeur d’école vampirique et son homologue humain, un chef de clan juvénile et sa… vamp’ de compagne délurée (une constante chez ces vampires qui ne négligent pas non plus l’inceste), un vampire marseillais mythomane, etc… Mention spéciale au voyage en terre québecoise, à l’improbable thérapeute, et au chef de la communauté locale, sorte de Poelvoorde québecois absolument parfait dans son rôle. Le Québec à la rescousse d’un mockumentaire belge, pour un spectateur français, avouons-le, c’est du miel… Bonus appréciable, un tel film ne saurait être plus d’actualité chez nous : au moment où l’on s’attarde un peu trop longuement sur les cas paraît-il urgemment problématiques de certains membres de la communauté roumaine en France, il est plutôt amusant de voir les lointains descendants du transylvanien comte Vlad contribuer à l’escamotage des sans-papiers, pour le compte des autorités locales. Ce genre d’arrangement entre humains et vampires est au fond bien moins invraisemblable que l’existence de ces derniers…
Sarcasme d’un esprit retors, ce faux-docu fictionnalise progressivement sa pseudo-réalité (mis à plat grossièrement, du faux construisant du « faux » donné pour vrai, mais c’est pour de faux, donc), à l’imitation de ces reportages qui mettent en récit, « storytellisent » à tout crin en se réfugiant derrière des arguments et références parfois hypocrites. On ne prétendra pas avoir été plié en deux du début à la fin, ni que le film réinvente son genre, impressionne cinématographiquement parlant, ou que son œuvre de subversion sape jusqu’aux fondements de notre société, mais Vampires est une réjouissante expérience pour tous ceux qui savent que le rire mauvais est bon, que là où y’a d’la gêne, y’a du plaisir, et qui cherchent un contrepoison à Twilight.