Qui a vécu ses années collège comme des jours de géhenne mais s’en souvient avec mansuétude, trouvera en Riad Sattouf le scoliaste de son époque scolaire. Pétri d’épisodes autobiographiques, Les Beaux Gosses est un premier film d’un style nouveau : au croisement des règles d’écriture de la bande dessinée et du cinéma, c’est une comédie libre de ton, à la mise en scène cocasse, interprétée avec brio. Trop rare.
La BD s’émancipe : de Retour au collège (paru en 2005), Les Beaux Gosses conserve le cadre du collège mais choisit une approche fictionnelle qu’il situe dans la ville de Rennes, alors que l’album était le résultat d’une démarche « documentaire » (Riad Sattouf s’était installé, pour cela, au fond d’une classe de 3ème dans un établissement parisien).
Dans le film on retrouve cette astucieuse combinaison de fantaisie et de réalisme préexistante dans le travail de bédéaste de Riad Sattouf. Il y a la dure expérience de l’univers impitoyable des collégiens : les corps ingrats, la compétition à la séduction, les pelles, les râteaux… Ces situations, et parfois ces épisodes avilissants du quotidien que l’on cherche à cacher, Les Beaux Gosses nous les montre crûment.
Les séquences s’enchainent comme des instantanés, pareils à des planches de BD alternant divers lieux (bus/chambre/classe), sans pour autant perdre de vue un enjeu scénaristique fort : Hervé, le protagoniste, veut se faire une meuf. Mais voilà, l’adolescent acnéique est « tro moche » et « a 1 tête 2 merde », alors séduire une fille n’est pas chose facile surtout qu’il trouve un point d’honneur à ne pas se contenter d’un « boudin ». Même objectif pour son meilleur ami Camel, romantique (c’est son « côté oriental ») mais véritablement rockeur de cœur. Le chemin est semé d’embuches. Pour arriver à ses fins, Hervé devra supporter sa mère (Noémie Lvovsky, déchainée dans son rôle de mère-poule-célibataire-castratrice), le regard des autres, et ses bouleversements hormonaux. Dure la vie d’ado, sans ironie.
Les Beaux Gosses est finalement pareil à un miroir dans lequel on accepte dignement ce qu’il reflète : de la peau trop grasse aux dents appareillées. Car même si le spectateur s’esclaffe et glousse, ces personnages ne sont pas méprisés par la caméra, la comédie sait rester respectueuse et attendrissante. Et les adolescents qui les incarnent, pourtant amateurs, livrent un jeu cohérent, voisin de la primeur de celui de Romain Duris dans Le Péril jeune. Ado comme adulte : tout le monde est visé, sans jamais tomber sous le joug d’un regard moral. L’élément comique, même parfois scabreux, n’est jamais réellement honteux : c’est une griffe cinglante apparentée à celle de la bande dessinée, de Pascal Brutal à Fluide glacial.
Riad Sattouf, en usant à bon escient de la profondeur de champ, donne à son film la fraîcheur et l’efficacité de la BD. On repense à ce plan-séquence où Camel court après le bus, à l’intérieur duquel, au premier plan, Hervé et Aurore se roulent des pelles à 50 tours/minute. Puiser dans la spatialité l’élément comique est un atout majeur des Beaux Gosses, qui tranche véritablement avec les comédies françaises trop portées sur le verbe. Et l’audace de la première fois pousse même le réalisateur à tenter un plan subjectif d’un baiser : et ça marche ! (pour ne pas dire « ça roule »). Le film hérite ainsi d’une grande latitude créatrice, se permettant par exemple d’habiller ses personnages d’un seul et unique costume participant à leur caractérisation. C’est aussi la résidence « Les Orties », ou le distributeur de bananes… tous ces détails, éléments du récit, sont autant d’accès à l’imaginaire foisonnant de Riad Sattouf que la manifestation de la poésie dans la comédie. Oui, Les Beaux Gosses est un film d’auteur.