Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait le coup ! Sous prétexte de s’attaquer à des sujets ambitieux, réputés infréquentables ou, du moins, inadaptables sur grand écran, on nous vend au bout du compte une sous-tragi-comédie sans épaisseur ni âme. Et dont le seul but, réel, est d’offrir un « exercice d’acteur » de plus à un nom respectable du cinéma hexagonal, en l’occurrence Michel Serrault. C’est en tout cas la désagréable impression qui naît puis grandit au sortir de la salle : l’impression de s’être fait duper, tromper sur la « marchandise ».
Sur le papier, l’idée avait de quoi intriguer sinon séduire : un petit village des Ardennes pendant la « drôle de guerre », en mai 1940, vidé de ses habitants à l’exception d’un vieil homme et de ses deux petits-enfants orphelins, qui résistent encore et toujours à l’envahisseur… oups, non, ce n’est pas ça. Mais qui résistent, d’une certaine façon, en choisissant de rester dans leur village et en feignant de ne rien changer à leur quotidien bien réglé. Plus facile à dire qu’à faire, surtout quand une patrouille de tirailleurs sénégalais égarée débarque un jour sans crier gare. Très bien. Mais d’une idée un tant soit peu intéressante, il faut ensuite tirer un film qui tienne un minimum la route. C’est précisément ce que Pierre Javaux, le réalisateur, ne parvient pas à faire. À ce moment-là de l’histoire, tout devient si prévisible et morne que l’on commence lentement mais sûrement à s’ennuyer ferme. Et les personnages, tous caricaturaux, s’embourbent dans des situations et des dialogues sans surprises ni invention. Michel Serrault se la joue (une fois encore… une fois de trop?) vieil aigri tyrannique et raciste, qui profite allègrement de son (ancien) statut de sergent de l’armée française pendant la Der des der pour vaguement prendre le commandement des Tirailleurs. Le groupe de soldats égarés est présenté comme l’inévitable recette mélangeant des caractères choisis avec soin : du courageux caporal au vieux sorcier, en passant par le combattant fier et énigmatique ou encore le gamin à peine sorti de l’adolescence qui se demande bien ce qu’il est venu faire dans cette galère… Et nous avec.
Le film raconte dès lors la rencontre parallèle et antinomique entre les tirailleurs et le vieux con d’une part, entre les tirailleurs et ses petit-enfants-curieux-et-tolérants-qui-eux-ne-sont-pas-racistes-et-font-copain-copain-avec-les-gentils-soldats-noirs de l’autre. Un scénario prétexte à toute une série de situations tantôt pathétiques, tantôt franchement grotesques : Michel Serrault exploitant la douce crédulité des Tirailleurs en leur intimant l’ordre de boucher pour son compte les bouteilles qui renferment le précieux fruit de sa distillerie, tandis qu’Étienne et Camille, ses descendants, s’ouvrent respectivement aux joies des traditions africaines et des premiers émois de l’adolescence avec le plus vieux et le plus jeune des mystérieux visiteurs.
Pierre Javaux, homme-orchestre puisqu’il arbore simultanément les casquettes de réalisateur, co-scénariste, producteur et accessoirement père de la jeune comédienne qui joue Camille, fait le minimum syndical. Partant de ce constat, difficile de savoir si cela tient uniquement à une volonté de trop bien faire pour son premier film, ou tout simplement à une paresse mal déguisée. Car si Javaux s’essaye ici à la réalisation, il est l’heureux (?) producteur du successful Le Cœur des hommes (2002), du tartignole Toute la beauté du monde (2006) et du futur Le Cœur des hommes 2 (2006) du même Marc Esposito. Question cinéma français ronflant et propret, il en connaît donc déjà un rayon.
Résultat : sa mise en scène est à la fois pataude, sans aucune audace et banalement classique, sans parler de sa direction d’acteurs. Tous, ou presque, n’évoluent que dans la surenchère et la démonstration si appuyée qu’elle en devient vaine. Et si les scènes qui fonctionnent à peu près se comptent sur les doigts d’une main, celles qui, au contraire, pêchent par excès de suggestion (plans insistants sur une boîte de Banania) ou de sentimentalisme facile donc indigeste sont légion. Jusqu’à une fin en deux temps, d’abord inutilement bruyante avec le bombardement du village et l’arrivée des chars allemands par la forêt soi-disant infranchissable des Ardennes, puis tragico-lyrique avec l’abandon des lieux et la fuite par la rivière.
Au début, on pense à un petit film mignonnet sans grande prétention, dans la lignée des films de Jean-Loup Hubert (Le Grand Chemin en 1986 ou Après la guerre en 1989). Des films qui, s’ils ne brillaient pas outre mesure par leur pure qualité cinématographique, avaient néanmoins le mérite de nous raconter une histoire et une rencontre entre adultes et enfants avec tout ce que cela suppose d’incompréhension, de violence parfois et de tendresse, aussi. Mais plus le film de Pierre Javaux avance et plus on se résigne en pensant qu’au lieu de tout cela, Les Enfants du pays ne se révèle qu’un coup dans l’eau de plus pour un certain pan du cinéma français. Un téléfilm imprégné sur pellicule cinéma qui fera sans doute les beaux jours de France 2 (co-producteur du film) au moment de sa future et inévitable diffusion un dimanche soir. Damned, c’était donc ça !