On a vu fleurir ces dernières années une nébuleuse de films queer à la voix puissante qui, lorsqu’ils n’étaient pas ouvertement autobiographiques, restaient tout de même solidement chevillés à l’itinéraire d’un seul personnage, à différents âges de sa vie, et d’autant plus chevillés que ce personnage était, justement, seul : seul face à la question du genre, seul au milieu d’un monde hostile à sa différence, ou du moins perçu comme tel.
Les Garçons et Guillaume occupe, au sein de cet espace, une place particulière : moins grave, plus pop, plus ludique qu’un Laurence Anyways par exemple, le film de Guillaume Gallienne est adapté de la pièce du même nom, que le comédien a écrit et interprété de 2008 à 2010. Il y relate sa jeunesse dans le milieu de grande bourgeoisie qui l’a vu naître, et au sein duquel, par le biais d’une affinité ambiguë avec sa mère, son identité de genre s’est trouvée bouleversée, secouée par la certitude d’être une femme, puis par l’impression – incertaine – d’être homosexuel.
Les Garçons et Guillaume est moins piloté par la puissance du témoignage, la force autobiographique, que par l’agilité comique développée par Guillaume Gallienne. Formé au cours Florent puis à la Comédie-Française, le comédien excelle par-dessus tout dans l’art du transformisme, et s’y amuse volontiers : son film s’apparente à un village de Schtroumpfs où le visage de l’acteur vole de personnage en personnage, incarnant presque tout ce qui n’est pas tout à fait « l’autre », c’est-à-dire lui-même (à tous les âges), sa mère, ses projections mentales (Sissi). De la pièce, one-man-show schizophrénique au succès tonitruant, il garde l’esprit de bricolage, ramenant souvent le film au minimalisme de la scène, à la narration déclamée par lui (et donc à l’autobiographie), dans le noir de la salle. Le théâtre, dont le public est muet et invisible, caché dans la pénombre, devient un théâtre mental : Gallienne ne semble s’adresser qu’à lui-même, les yeux dans le vague, comme si le défilé de bourgeoisie rococo, de pensionnats d’un autre temps, de voyages européens auxquels nous invite le film n’était qu’un produit fantaisiste de son imagination.
Grand film queer, non : Les Garçons et Guillaume évite à tout prix la douleur. Quand il s’entiche de redevenir sérieux, le film ne fait jouer qu’une émotion pâteuse, un peu téléphonée, pas à sa place. C’est le feu de l’écriture, subtilement rythmée, d’une drôlerie toujours élégante et pourtant pas précieuse, qui en fait une comédie de haute volée. Son sujet, grave et très actuel (toujours un plaisir de voir un pied de nez, si menu soit-il, aux adversaires poussiéreux de la « théorie » du genre), a été plus viscéralement traité par d’autres et le sera encore : ce qu’il lui manquait encore, c’est une comédie populaire, et la voici sans doute.