« Il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver. » On imagine que Guillaume Gallienne avait cette phrase de Hitchcock en tête lorsqu’il écrivit Maryline, le premier projet qu’il souhaitait tourner avant Guillaume et les garçons, à table !. L’histoire commence en effet comme un mauvais roman de Zola. Une jeune fille quitte sa campagne natale pour devenir actrice sur Paris, se heurte à un réalisateur cruel, sombre dans l’alcoolisme comme son père, avant d’espérer une renaissance miraculeuse. Guillaume Gallienne passe ainsi tout son temps à désamorcer les risques d’un récit convenu vaguement inspiré d’Opening Night de Cassavetes et Une étoile est née de Cukor, plutôt que de vraiment aborder de front son joli sujet : celui de la naissance d’une actrice.
Erreurs de montage
Maryline oscille en permanence entre les stéréotypes autour de la vie d’artiste et des moments de réalisme plus émouvants. Après les adieux pathétiques de la jeune femme à sa famille, le film retrouve un peu de justesse en montrant la terrible importance du hasard et des circonstances matérielles dans la réussite d’un acteur. Pendant son premier tournage, la débutante se laisse ainsi déstabiliser par ses règles survenues à l’improviste, puis par son manque de maîtrise de la langue anglaise. Le film rebondit efficacement sur ces éléments triviaux pour faire surgir l’angoisse ou le comique, parfois les deux en même temps. Mais ce genre de scène, parfaitement joué par Adeline d’Hermy (sociétaire de la Comédie-Française), est bien vite noyé dans un magma d’instants « doloristes » et prévisibles autour des « galères » du personnage, où Maryline s’enfonce dans l’alcool, balbutiant vaguement son texte au fond de sa chambre de bonne. Ce qui gêne le plus dans cette vision du parcours chaotique d’une jeune comédienne, c’est finalement son montage. On regrette que le film expédie des moments forts d’apprentissage, notamment les premiers pas de Maryline dans une troupe de théâtre. Quant aux premiers émois amoureux qui faisaient partie de l’initiation de l’actrice, par exemple dans Esther Kahn de Desplechin, ils sont tout simplement passés sous silence le temps d’une ellipse pudique.
Le syndrome Marilyn Monroe
Si le réalisateur accorde une telle importance à ces moments douloureux qui frôlent la complaisance, c’est probablement en raison de sa vision du métier d’acteur. La force d’une actrice, ce seraient ses failles, sa fragilité. D’où la référence à Marilyn Monroe, la blonde radieuse aux démons intérieurs. Maryline serait une allégorie de l’actrice en général, une lointaine parente de Myrtie dans Opening Night de Cassavetes, elle qui parvenait à sublimer son rôle sur scène grâce à son propre mal de vivre. L’ouverture du film sert ainsi de manifeste sur l’acteur. Nous y découvrons Maryline lors d’un casting, une jeune fille au visage pâle et cheveux fins comme une poupée de porcelaine, intimidée et maladroite, un peu engoncée dans des vêtements mal ajustés. Mais, une fois l’essai commencé, la jeune femme se métamorphose, se jette à corps perdu dans une improvisation avec une table, luttant avec celle-ci comme si sa vie en dépendait. Paradoxalement, l’actrice semble bien puiser sa force dans sa sensibilité à fleur de peau. Dans la suite du film, la caméra semble hypnotisée par le visage de clown blanc de son actrice, ses grands yeux et son visage tremblants, tandis que les dialogues répètent inutilement la même idée : Maryline a déjà tout car elle a déjà cette « présence » unique.
Théâtre et dépendances
Le réalisateur se départ alors difficilement d’une vision très inquiétante de la comédienne (ou du comédien) : un être sans aucune solidité intérieure, complètement dépendant de l’initiative des autres. Maryline est une sorte de Cosette rongée par l’alcoolisme qu’une galerie de personnages sauve ou « enfonce » successivement : le metteur en scène sadique, une actrice, modèle de femme forte et indépendante, qui joue le rôle de la bonne fée (Vanessa Paradis, plutôt meilleure que d’habitude), un assistant metteur en scène alcoolique … Analogie plutôt dérangeante (et probablement assumée), Maryline ressemble un peu trop au petit chien abandonné qu’elle recueille miraculeusement un soir de beuverie. D’ailleurs, au moment où le personnage à deux doigts de la réussite doit enfin affronter seule sa vie et risque de replonger dans l’alcoolisme, Guillaume Gallienne choisit encore l’ellipse. À la place, on aura droit à une sorte de tour de passe-passe narratif très inspiré du début de To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch. Comment le théâtre a-t-il apporté au personnage l’indépendance qui lui manquait ? On ne le saura jamais. Tout ce que le film nous rappellera lors de sa dernière scène, c’est finalement ce lieu commun qu’on nous aura lourdement suggéré pendant deux heures : ce qui fait exister l’acteur, c’est le regard de son public.