Soit trois femmes d’aujourd’hui à Tel-Aviv : Batia, jeune femme solitaire et maladroite, dont le quotidien est bouleversé par l’apparition d’une petite fille venue de la mer ; Keren, qui s’est cassé la jambe le jour de son mariage et doit passer sa lune de miel dans un hôtel sordide ; et Joy, immigrée venue des Philippines, aide ménagère auprès de personnes âgées, impatiente de retrouver son jeune fils resté au pays. Autour d’elles, d’autres personnages, plusieurs destins qui se mêlent, se croisent et parviennent parfois à toucher du doigt ce bonheur auquel tout le monde aspire.
Récompensé par la prestigieuse Caméra d’or au dernier festival de Cannes, ce premier long métrage du couple israélien Etgar Keret et Shira Geffen apporte un autre regard sur cette Tel-Aviv qui inspire tant, véritable îlot d’énergie et de modernité dans un pays en souffrance. Tel-Aviv est une muse, mais la qualité des œuvres varie : pour un très beau Avanim de Raphaël Nadjari, combien de The Bubble d’Eytan Fox ? Le premier réussissait, à travers un portrait de femme pas loin de Cassavetes, à faire rejaillir à l’écran l’incroyable vitalité de cette ville. Le second (succès public phénoménal) utilisait les ingrédients de soap-opera les plus indigestes pour faire de Tel-Aviv le théâtre design et branché d’un mélo dégoulinant et grotesque, tendance Melrose Place pour spectateurs en mal de conscience politique. Les Méduses opte pour une voie à la fois moins risquée et pourtant très glissante : onirisme et fantastique venant perturber un quotidien si loin et pourtant si proche de nous. Une culture différente, mais des gens qui nous ressemblent, confrontés aux mêmes angoisses : la solitude, la vieillesse, la mort.
A priori, rien de politique dans Les Méduses. Pourtant, sans allusion aucune aux conflits et aux tensions qui gangrènent le pays, Etgar Keret et Shira Geffen nous montrent des femmes indépendantes au mode de vie identique en tous points aux Françaises ou aux Italiennes : serveuse, photographe, comédienne, écrivaine, célibataires pour la plupart. Nulle trace de religion ici, sauf dans des scènes de mariage. Les couples sont modernes, la vie suit son cours, la question de l’immigration – posée à travers le personnage de Joy – ne semble même pas poser de problème. Pour autant, les deux cinéastes ne pratiquent pas la politique de l’autruche : débarrassé des questions « sensibles », le quotidien de leurs héroïnes n’en paraît pas moins glauque pour autant. Appartements sordides, vie professionnelle précaire, vie conjugale approximative : c’est bel et bien une autre vision de Tel-Aviv qui nous est proposée, réellement moderne, épurée des clichés de la New York israélienne si souvent utilisés.
Etgar Keret et Shira Geffen ont pourtant envie d’autre chose. Le parti pris réaliste ne leur suffit pas : pour parler de ces femmes en proie à la dépression, à la peur, au doute, il leur faut passer par l’imaginaire, la poésie, le rêve. C’est là, malheureusement, que le bât blesse. Personnage central, Batia est aussi le plus énigmatique : cette petite fille sortie de la mer qui vient bouleverser sa vie, sans parents pour la réclamer, accrochée à sa bouée, les cheveux constamment mouillés, est-elle une projection mentale ? Un fantôme ? Si c’est le cas, comment se fait-il que les autres la voient également ? Les réalisateurs nous proposent un semblant d’explication à la fin du film, mais s’appuient beaucoup trop sur des maniérismes de mise en scène qui alourdissent le propos, quand l’effet recherché est probablement une sorte d’état de grâce dans la veine de la dernière scène de Respiro d’Emanuele Crialese, à laquelle un plan ici fait irrémédiablement penser, de façon maladroite. L’émotion semble forcée et l’esthétique, trop publicitaire, détonne dans un film jusque là plutôt sobre.
Comme dans ces films chorals décidément toujours très à la mode, les histoires traitées sont très inégales. Certaines commencent plutôt bien pour s’écraser dans une poésie un peu bêtasse (Batia et la petite fille), d’autres tournent en rond pour finalement décoller de façon inattendue (Karen, personnage ingrat qui se révèle bouleversant). Des pistes narratives explorées de façon anarchique, dont le beau potentiel est gâché par une propension à l’abscons, à un discours supposément poétique mais essentiellement poseur. Il y a du talent chez Etgar Keret et Shira Geffen, mais la Caméra d’or paraît ici un brin usurpée.