Film intimiste qui suit pas à pas les émotions et le ressenti des personnages, Les Mots bleus entendent suggérer les déchirures intérieures d’Anna, petite fille qui ne parle pas, ainsi que celles de sa mère, Clara, qui l’élève seule. Alain Corneau adapte le rythme du récit au cheminement des personnages et produit ainsi un film tout en justesse et en retenue sur un sujet pourtant éminemment difficile à traiter.
La petite Anna dessine, rit et court comme tous les autres enfants, mais ne parle pas et n’a jamais parlé. Elle n’est pourtant ni sourde, ni muette. Rejetée par les autres écoliers, Anna se voit proposer d’intégrer une école spécialisée où sont scolarisés des enfants sourds-muets. L’enseignant qui y travaille (Sergi López) noue immédiatement avec elle une relation de complicité et la prend en charge plus particulièrement pour lui apprendre la langue des signes. Mais il se heurte vite aux réticences inavouées de Clara, la mère d’Anna (Sylvie Testud).
C’est dans la relation mère-fille que se joue en effet toute la complexité psychologique du film, qui dépasse ainsi le simple descriptif du mutisme de la fillette, pour faire pressentir des tensions et des non-dits bien plus profonds, issus pour l’essentiel des peurs mêmes de la mère. Le réalisateur réussit à cet égard à suggérer sans s’appesantir l’angoisse constante qui habite Clara, le désespoir avec lequel elle semble se raccrocher à sa fille, quitte à la renfermer encore davantage sur elle-même.
Chaque personnage dévoile progressivement ses peurs et de la mise en mots vient justement la délivrance. Les Mots bleus présentent ainsi une belle incarnation de la difficulté à communiquer et à s’exprimer, de quelque manière que ce soit. Les formes de langage sont en effet démultipliées dans le film comme pour conjurer l’absence de mots dans la bouche d’Anna : dessins d’abord, inscriptions en tissus, chant de l’oiseau (assez incroyable soit dit en passant), langue des signes, regards dont le réalisateur parvient à capter l’intensité et l’ambivalence perpétuelle. Réflexion sur le langage, le film l’est également par rapport à l’affectivité du personnage de Clara, qui associe la lecture des mots à la mort de sa grand-mère, et qui refuse en ce sens d’écrire ou de lire, ce qui revient à nier là encore toute communication vers autrui.
Cette mère étouffante et mutique elle aussi à sa manière, incarnée avec toute la fragilité de Sylvie Testud, n’est jamais caricaturée par Alain Corneau, qui agence les scènes de manière à nimber toute avancée d’une réticence, toute décision d’un doute implicite et enfoui. L’amour qui naît ainsi entre Clara et l’enseignant n’en devient que plus juste, toujours prêt à s’écrouler, aux mains de ces personnages pétris de contradictions.
Si seule la fin détonne par son artifice d’happy end sur fond de coucher de soleil, Les Mots bleus n’en demeurent pas moins un film à la fois porteur de sens et d’émotions, qui pose la délicate question de notre rapport au langage, et au-delà de la façon dont on peut exprimer et mettre en images l’intériorité et les non-dits de tout personnage.