Pour son premier long-métrage, Alexis Langlois revendique un désir d’hybridation en entrelaçant culture populaire et underground queer, rires bouffons et larmes romantiques, spectacle trivial et mélancolie sentimentale. De prime abord, iel semble avoir trouvé le meilleur écrin pour ce projet. Narrant de manière rétrospective l’histoire d’amour passionnée de Mimi Madamour – une chanteuse pop victorieuse d’un télécrochet type « Nouvelle star » – et Billie Kohler, une artiste punk et féministe radicale, l’intrigue organise à partir de cette rencontre un feuilleté romanesque. Cette impression d’écoulement du temps peine cependant à éclore. Langlois épouse une esthétique camp qui envahit tous les milieux et périodes évoqués par le film, tant et si bien qu’il finit par manquer d’oscillations et de pics – en somme, ce qui donne d’ordinaire son relief au mélodrame. Cette uniformisation empêche d’y différencier le punk de la pop, l’univers de la télé et celui de la contre-culture, l’année 2005 de l’année 2055, etc. Si le scénario ne cesse par ailleurs de postuler que l’amour des deux héroïnes serait entravé par une violence queerphobe et un gouffre culturel, ces éléments restent de pures idées couchées sur le papier que l’on ne verra pas réellement figurées à l’écran. La singularité du film se trouve ailleurs, dans sa manière d’inventer une sorte d’inframonde débridé, libéré de l’hétéronormativité et de ses conventions rétrogrades.
Sous cette surface tapageuse et sans doute trop (paradoxalement) homogène, Les Reines du drame cache ainsi un cœur plus angoissé et émouvant, qui évoque certains Brian De Palma dont le romantisme noir cohabite avec une extravagance revendiquée (Phantom of the Paradise, Body Double). Il est particulièrement palpable dans les différentes scènes de concert, qui font pour le coup l’objet de discrètes fluctuations de mise en scène. Au début du film, dans une séquence très réussie, Mimie regarde de loin Billie en train de chanter, avant de s’approcher et de se laisser emporter par ses admiratrices survoltées, le rythme de la danse s’accordant alors aux pulsations de son cœur tout juste épris. Plus loin dans l’intrigue, Mimi et Billie s’embrassent au milieu des danseurs et danseuses, et la caméra, tout en longue focale et travellings circulaires, efface presque les corps autour d’elles pour protéger leur étreinte. Enfin, la foule finira par les séparer : alors que Billie assiste à la performance de Mimi lors de la finale du concours, les autres membres du public se volatilisent, les laissant dans un tête-à-tête irréel, avant de réapparaître brusquement, bouchant le chemin de Billie vers son amante. C’est lorsque Langlois s’autorise de la sorte des variations au sein de son esthétique ostensiblement criarde que le film surprend et touche. Ainsi de l’enregistrement d’un amer message vocal, alors que Mimi délaisse Billie suite à son succès, ou encore de la magnifique et discrète confession finale d’un personnage secondaire joué par Alma Jodorowsky. Jusqu’ici plutôt accablée par le scénario, elle fait soudain entendre une voix beaucoup plus réservée et sobrement mélodramatique, devant les barreaux d’une cellule de prison.
Pour terminer, il faut noter que la propension à la surenchère permet aussi d’accoucher de visions fortes et parfois monstrueuses, comme la métamorphose de Billie dans un clip sanglant, ou des retrouvailles finales dans deux cellules séparées, communiquant à travers une brèche onirique dans le mur, qui évoquent explicitement Un chant d’amour de Jean Genet. Ces variations sentimentales, illustrant dans le même temps l’évolution des modes musicales, sont révélatrices de l’obsession de Langlois, que l’on pourrait résumer par cette question : comment une contreculture queer peut-elle se fondre dans un univers hégémonique sans que cette rencontre soit fugace ? La dernière scène, évoluant dans une sorte d’Éden souterrain des has beens, des chanteuses adorées puis oubliées, scelle cette hantise de l’éphémère, qu’il soit sentimental ou générationnel. En inventant ce terrain de jeu à la fois difforme et joyeux, Langlois n’égale certes pas encore ses modèles, mais iel en partage déjà la belle ardeur.