Les Révoltés de l’an 2000, comme son titre français ne l’indique pas (l’original, ¿Quién puede matar a un niño ?, signifie en français « Qui donc pourrait tuer un enfant ? ») est un film d’horreur où un couple de touristes anglais débarque sur l’île (fictive) d’Almonzora, située à quatre heures en bateau de la côte andalouse. Dans ce cadre idyllique de petites maisons blanches où le soleil méditerranéen tape fort, la tranquillité des rues ménage rapidement un trouble : où sont passés tous les habitants, qui semblent avoir disparu précipitamment, à l’exception de quelques enfants ? Le village désert s’apparente à un piège grandeur nature, avec ces filets de pêcheurs qui tapissent les murs, ces volets qui se referment soudainement et ces recoins d’ombre dont la quiétude n’est troublée que par quelques rires enfantins. Patience, montée de la tension, surgissement de l’horreur : le film joue une partition certes attendue, mais tire intelligemment son épingle du jeu dans la manière dont il fait de l’enfant une figure d’épouvante. Sa grande idée est que, de l’innocence au mal, il n’y a qu’un pas, que l’enfant est déjà en soi une figure monstrueuse en puissance et inquiétante par nature. Le film n’a dès lors pas besoin de pousser très loin le curseur, comme dans cette scène où un vieillard pendu devient une piñata que l’on essaie d’abattre à coup de faux : il ne fait que rejouer la frénésie du jeu et l’emballement collectif auxquels s’adonnaient déjà naturellement quelques bambins au début du récit. De ce cadre, le film déploie une étrangeté reposant sur des décalages très simples (par exemple : tandis que les adultes suent par tous les pores de leur peau, les enfants semblent parfaitement imperméables à la chaleur écrasante) ou s’amuse de renversements habiles. Ainsi de cette course-poursuite qui semble comme rejouer à l’envers l’attaque d’écoliers par des corbeaux dans Les Oiseaux d’Hitchcock : c’est désormais une foule de gamins qui remplace la nuée de volatiles.
La marque du démon
Tout n’est cependant pas parfait : au-delà de la relative indolence de certaines séquences (sur ce point, Les Révoltés… a l’irrégularité de certains gialli pouvant tour à tour se révéler aussi sophistiqués que brouillons), le film souffre aussi du flou qu’il entretient autour de ce renversement de l’ordre par les plus jeunes. Dans sa première partie, l’intrigue suggère l’idée d’une révolte, avec un générique compilant différents reportages télévisés où les enfants apparaissent comme les victimes des guerres, famines et dévastations dont les adultes sont responsables. Déjà, une question hante le couple, parents de deux enfants et qui en attend une troisième (la femme est enceinte) : quel monde laisseront-ils à leur progéniture ? Cette interrogation, manière de saupoudrer un peu artificiellement l’intrigue d’enjeux, laisse le champ dans la deuxième moitié du film à une voie plus ouvertement surnaturelle, par laquelle Les Révoltés… penche davantage du côté du Village des damnés et de L’Invasion des profanateurs de sépulture. Le poids de cette hésitation scénaristique est toutefois à relativiser, au sens que les pistes suivies par le film sont surtout à envisager comme des catalyseurs de trouvailles formelles. En témoigne l’ouverture, où le générique en noir et blanc cède place à la couleur à la faveur d’un zoom arrière ; au centre du plan, un garçonnet tripote du sable mouillé pour bâtir un château de sables, sur la plage de la station balnéaire de Benahavis. Autrement dit, c’est le monde tout entier qui se reconfigure (l’apparition de la couleur et l’élargissement du plan) selon le bon vouloir des enfants, pour le plier à leur énigmatique volonté, à la fois violente (quelques scènes, d’une brutalité remarquablement préparée, glacent le sang) et ludique.
Deux caractéristiques que l’on retrouve dans ce qui s’affirme probablement comme la plus belle séquence du film, où le personnage principal masculin pénètre dans une église prise par les enfants. Au milieu de petits groupes, il découvre le cadavre d’une touriste que ses meurtriers commencent à dénuder. Les coupables fuient le lieu en riant, et tandis que l’adulte s’apprête à en faire autant, son attention est retenue par une petite fille qui chuchote près d’un confessionnal. Elle prend à son tour la poudre d’escampette le sourire aux lèvres, laissant l’homme seul face à l’enclave, voilée par un rideau mauve. Il s’avance, à la fois curieux et effrayé, la caméra se rapproche de l’édifice surplombé d’une croix, une musique angoissante rompt le silence dans lequel baigne l’église, jusqu’à ce que, enfin, la main tire le rideau d’un geste ferme. Zoom à l’intérieur, qui enroule le plan autour d’un petit garçon souriant à pleines dents, la moitié du visage maintenue dans la pénombre, avant qu’il ne jaillisse de la boîte et s’échappe sans un mot. Cette fois-ci, ni cadavre ni surprise sanguinolente : il ne s’agissait bien que d’un jeu, et c’est pourtant là que s’exprime avec le plus d’effroi la part secrètement inquiétante que renferme chaque enfant, cette innocence où l’on croit parfois deviner, au détour d’un regard ou d’un sourire ambivalent, la marque du démon.