Deuxième volet de la trilogie des frère et sœur Elkabetz, après Prendre femme, Les Sept Jours transpose la guerre au cœur de la famille : guerre perpétuelle en Israël, guerre intime des personnages avec eux-mêmes. Les rancœurs et les secrets longtemps enfouis ressurgissent à la faveur du deuil que partage cette famille, pendant sept jours. Pesanteur, lourdeur, violence des échanges… toute la mise en scène reste sur le fil des émotions jusqu’à l’explosion finale. Un brillant exercice qui confirme le talent multi-facettes de Ronit Elkabetz et de son frère.
Être né et avoir grandi dans une famille israélienne, séfarade, d’origine marocaine, est visiblement lourd à porter pour Ronit Elkabetz et son frère Shlomi. Poids de l’orthodoxie religieuse, carcan qui pèse sur les femmes, mesquineries et jalousies, secrets et coups bas, le cercle familial est, dans leur cinéma, un objet d’étude tout autant que peut l’être la société. En 2005, avec l’excellent Prendre femme, ils s’attaquaient au couple sous un jour sombre : la mise sous tutelle d’une femme par un époux accroché à l’application de la Loi juive à la lettre.
Au-delà du fait qu’ils forment les deux premières parties d’une trilogie, Prendre femme et Les Sept Jours affichent plusieurs points communs : la reprise de personnages de la même famille, et l’ancrage de l’histoire familiale dans l’histoire du pays. Prendre femme se situait en 1979, durant les trois jours précédant le Shabbat. Les Sept Jours a lui pour cadre la première guerre du Golfe. Loin d’être anodine, cette détermination historique inscrit le film dans une réalité quasi indépassable : comme si filmer Israël, serait-ce pour une histoire familiale, ne pouvait s’affranchir de la situation d’un pays perpétuellement en guerre. En 1991, sous les attaques des missiles de Saddam Hussein, les Israéliens enfilent des masques à oxygène à chaque alerte, jusque pendant les prières aux morts… La famille Ohaion et Israël : deux visages d’un corps perpétuellement en guerre, guerres s’amplifiant l’une l’autre.
Cette pesanteur perpétuelle sied parfaitement à l’histoire contée ici, autant que le choix du cadrage, très serré. L’utilisation du grand angle, comme le fait de situer l’histoire dans une période de guerre ouverte, vient enfermer les personnages dans le champ et dans un enfermement subi. Les Sept Jours débutent ainsi par un magnifique plan statique, dépourvu de tout ciel, dans lesquels les visages et les mains des personnages traduisent leur souffrance. Maurice, frère d’une famille de neuf enfants, vient de mourir brusquement. La grande fratrie élargie est rassemblée autour de sa tombe. De cette famille qu’on découvrira peu à peu, n’apparaît au départ que la figure tutélaire et austère de la mère : délimitant le cadre autour de sa personne, les réalisateurs l’élargissent peu à peu vers les autres membres. C’est, à travers le lent déplacement de la caméra et un travail sur un son très acéré, la litanie des pleureuses qu’on découvre alors : tradition juive qui, à l’instar du chœur antique, permet d’exprimer la souffrance collective. Selon les règles du judaïsme, les membres de la famille Ohaion se retrouvent ensuite, pendant sept jours, dans la maison du mort pour honorer sa mémoire.
Point central du film, précisément, le collectif : dans ce cercle générateur de pesanteur et d’étouffement, l’individu n’a pas sa place, la femme, encore moins. C’est Thérèse, la femme de Meïr, l’aîné de la famille et candidat à la mairie de Kiryat Yam, cantonnée dans sa cuisine. C’est Ruthy qui n’a pas son mot à dire à la décision de son mari de vendre leur maison. C’est Lili, femme de Jacques, qui doit taire sa liaison passée avec Maurice… C’est Vivianne, enfin, à qui Eliahou refuse toujours d’accorder le divorce : la même Vivianne que dans Prendre femme, campée par une Ronit Elkabetz décidément parfaite. De nouveau dans Les Sept Jours, les femmes peinent à vivre et à faire s’épanouir leur identité propre, ou alors à leurs dépends. Mais dans ce milieu de trilogie, les hommes aussi sont clairement définis par le groupe. C’est l’argent qui pèse sur les rapports entre les frères, la solidarité remise en question, les cas de conscience, la tradition interrogée. Un état de fait nécessairement explosif.
Et le film explose… car après avoir installé un rythme régulier, quasi monotone, fait d’une succession de scènes entre deux ou trois personnages, la tempête vient du groupe : prêts à passer la nuit, une de plus dans cette promiscuité non choisie, le groupe qui tenait vaille que vaille jusqu’ici explose littéralement. La caméra, qui jusqu’ici naviguait de pièce en pièce et de personnage en personnage dans le huis clos de la maison, se fige dans la grande pièce commune jonchée de matelas. Tabous, maîtrise de soi et jeu des apparence tombent brusquement : les liens du sang si fragiles ne tiennent plus… ou c’est précisément parce que ces liens existent que la violence peut surgir. Et si cette scène est aussi réussie, c’est que les réalisateurs ont tenu un pari difficile : définir précisément, malgré leur grand nombre, chaque personnage. Malgré ce collectif dont ils ne peuvent se défaire, l’individualité de chacun affleure par petites touches, à travers un regard, une démarche, une façon de parler.
La violence du film, latente avant la scène cathartique, maintient, finalement, la situation dans un statu quo. En témoigne la non moins violente musique rock qui accompagne la scène finale : celle de la famille marchant dans le cimetière, à la fin des sept jours. La boucle est bouclée, les rancœurs maintenues. Reste en mémoire le visage de la mère, corps impassible et impuissant sur sa chaise, dont les larmes roulent en silence devant le spectacle de ses enfants qui se déchirent.