Pour son premier film en tant que co-réalisatrice, l’actrice israélienne Ronit Elkabetz (Mon trésor, Alila et Mariage tardif) a su faire preuve d’une certaine originalité dans le traitement d’un sujet dont on pourrait croire qu’on en avait fait le tour : la morosité du quotidien d’une femme au foyer, mère de quatre enfants, partagée entre une soif de liberté et le traditionalisme religieux.
Loin du bouleversant Kadosh d’Amos Gitaï qui dressait le portrait pathétique d’une femme opprimée et humiliée par son bourreau de mari, Prendre femme n’a pas pour vocation directe de dénoncer l’extrémisme religieux mais de faire de son héroïne, Viviane, une Mme Bovary des temps modernes. La morosité de son quotidien, partagé entre ses quatre enfants et un salon de coiffure improvisé pour arrondir les fins de mois, est parfaitement symbolisée par l’exiguïté de l’appartement familial, pratiquement seul décor, au sein duquel cette femme pleine d’énergie peine à trouver sa place, et si possible loin de la belle-mère qui prend systématiquement le parti de son fils. Après s’être vue contrainte de retourner vers son mari lors d’une scène d’ouverture magistrale, Viviane semble avoir renoncé à toute idée de divorce, résignée à poursuivre une tâche qui lui aurait été assignée par une vague force supérieure. Seulement, cette femme-là, plus proche de l’univers de Pedro Almodóvar que de n’importe quel film social, a bien trop à exprimer pour rester prisonnière d’un rôle qu’elle n’a manifestement pas choisi.
Ce mari, dont on pressentait à tort qu’il était le seul initiateur du conflit dans les premières scènes, va s’exposer à l’hystérie grandissante de sa femme qui refuse tout, l’ordre établi, la tradition, la solitude et l’ennui. Les enfants, systématiquement pris à partie lors des altercations des parents, souffrent quotidiennement. De l’aîné, capable de tyranniser cette mère qui érotise inconsciemment leurs rapports, à la cadette, influencée par les jugements de son père, en passant par l’avant-dernier, constipé des heures durant, chacun tente de trouver une place dans le chaos familial où la récurrence des provocations verbales, des cris et des bousculades fait partie intégrante du quotidien.
Le choix de mélanger deux langues, le français et l’hébreu, parfois au sein d’une même phrase témoigne justement de cette incapacité qu’ont les personnages principaux à s’accorder sur un même discours, à se placer dans l’échelle sociale d’un pays qui, lui-même, peine terriblement à poser ses frontières. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si chaque tentative de rapprochement est constamment posée en échec comme si tout idéal de paix n’était envisageable qu’en dehors de ce territoire que Viviane ne parviendra à quitter qu’une seule fois, pour rejoindre dans un café un ancien amant revenu de France (Gilbert Melki), prêt à tout quitter pour elle. Cette parenthèse, assez convenue tant elle rappelle l’histoire d’Emma Bovary, est étrangement dénuée de toute cruauté, tant la force des sentiments respectifs des deux amants ne peut rien face au désarroi, à l’insatisfaction dont cette femme a fait son plus fidèle compagnon. Ronit Elkabetz, mélange parfait d’excentricité, de narcissisme exacerbé et de désespoir, insuffle à cette chronique familiale une amertume, un désenchantement qui trouve son point d’orgue dans l’avant-dernière scène : son mari, désemparé, s’abandonne aux larmes, incapable de poursuivre un chant religieux censé lui redonner espoir.