L’amour peut-il sauver l’évasion fiscale ? Peut-être Olivier Dahan espérait-il qu’il sauve carrément le monde, du moins c’est ce que suggère son assemblage insensé des premières années de règne de Grace de Monaco, née Kelly ; et peut-être aussi espérait-il monter un grand mélodrame de cour princière, au lieu d’une sitcom de rotary club. En tout cas il fait bien semblant : Grace, telle Indiana Jones, s’envole sur des petits pointillés rouges de palais en palais (Saint Pétersbourg, Moscou…), pour appeler à son secours la mondanité internationale ; vient prêter main forte aux commerçantes du marché, sans chichi, foulard dans les cheveux ; apprend le français et les convenances dans de longues séquences très enlevées en fondu enchaîné, façon Princesse malgré elle. « Elle a un sacré caractère », dirait probablement Stéphane Bern, et encore, il n’a pas vu son apothéose, son 18 juin à elle, devant de Gaulle himself : un discours cinglant sur l’importance de l’amour, avec petites larmes de circonstance et auditoire hébété, au bal de la Croix-Rouge.
Comme il s’agit encore un peu de Grace Kelly, le film garde, tant qu’à faire, le loisir de parler un peu de cinéma, et son émissaire est tout indiqué : Alfred Hitchcock, l’homme sur lequel l’audiovisuel mondial s’essuie le plus violemment les pieds depuis quelques années. Biopics à goîtres inhumains, pubs pour voitures, et vulgarisation british généralisée semblent désormais le seul héritage populaire d’un cinéaste dont on a définitivement expulsé le caractère tyrannique : Hitch, doux comme un agneau, est le vieil oncle attentionné de « Gracie », son égérie perdue. Elle ne jouera plus jamais pour lui, de peur de vexer la cour. Son plus beau et dernier « rôle », c’est princesse : la formule est aisée, c’est bien vrai, à ceci près que Grace de Monaco reste une très embarrassante opération de remplacement, où présent et passé se mènent une rude concurrence. L’aura de Nicole Kidman est-il plus ou moins lumineux que celui de Grace Kelly ? Les longues plages de temps que la caméra passe à scruter son visage immobile semblent dévouées à démêler, sans succès, cette étrange question. Elle semble absorber Kidman elle-même, plongée devant l’enregistrement fantomatique de son mariage princier, où il est difficile de distinguer quelle actrice se cache sous le voile blanc. Olivier Dahan, qui n’a pas froid aux yeux, est de son côté bien décidé à gagner son médaillon « hitchcockien » : par un jeu d’imitations interminable, il ne restitue du maître du suspense qu’un recueil de fossiles ; ici un petit entrechat de la caméra, là un jeu de miroir dans le cadre, oh et puis tiens, si on la coiffait comme Kim Novak dans Vertigo ?
Un an après Gatsby, trois ans après Minuit à Paris, Grace confirme qu’un film d’ouverture de festival de Cannes, désormais, c’est fait pour briller et rien d’autre. Le Rocher monégasque a certes perdu un peu d’intensité lumineuse et de glamour (du « mariage du siècle » il y a soixante ans, il ne reste qu’un petit Vatican bancaire), mais Dahan, lui, est le parfait client. Son obstination absolument démente à faire du cinéma de luxe à chaque seconde achève de le ridiculiser : politiquement abject (en résumé : Nicole Kidman à la rescousse de la souveraineté d’un paradis fiscal), formellement publicitaire (de Chanel à Chopard en passant brièvement par Puget), Grace n’aura eu pour mérite que celui de faire un peu ricaner, d’un Palais (celui des Festivals) à l’autre (celui des Grimaldi). Au vu des précédents de Dahan dans le panégyrique sur grande dame du XXe siècle (La Môme), il n’y a pas de quoi s’en étonner. Hey, what did you expect ?