Produit par Guillermo del Toro et réalisé par le débutant Guillem Morales, Les Yeux de Julia est un véritable échec artistique. Se résumant uniquement à quelques idées de mise en scène boursouflées, il pointe involontairement du doigt l’absence d’originalité de la majorité des films de genre ibériques de ces dernières années.
Depuis quelques années, le cinéma espagnol de genre connaît un certain succès. Grâce à des réalisateurs comme Jaume Balagueró et Paco Plaza (Rec 1 et 2), Juan Antonio Bayona (L’Orphelinat) ou encore le précurseur Alex de la Iglesia (l’auteur des délirants Action mutante et Le Jour de la bête), il réussit à passionner le public ibérique et à s’exporter en dehors de ses terres, notamment à Hollywood, qui demeure toujours aussi friand de remakes de films étrangers. Voyageant cinématographiquement entre le Mexique, les États-Unis et l’Espagne, Guillermo del Toro est l’un des noms associés à cette nouvelle vague horrifique. Après l’académique L’Orphelinat, le voilà de nouveau à la production d’une œuvre fantastique de la société Rodar y Rodar. Mis en avant par le marketing accompagnant le métrage, la présence du cinéaste mexicain apparaît comme une garantie pour le spectateur, qui se sent ainsi profondément rassuré. Ce procédé, souvent utilisé pour booster la sortie de petits budgets ou de premières œuvres, permet également de faire mieux passer quelques pilules difficiles à avaler comme Les Yeux de Julia. Son récit, fondé sur le fameux thème de la cécité, semble pourtant intéressant sur le papier : Julia, atteinte d’une maladie oculaire dégénérescente, apprend le décès de sa sœur Sara. Selon la police, tout porte à croire qu’elle s’est suicidée. Peu convaincue par cette version des faits, la jeune femme décide d’enquêter sur les événements qui ont pu provoquer le drame. Mais, perdant peu à peu la vue, elle plonge dans l’obscurité et dans les griffes d’un homme mystérieux et manipulateur.
Malgré un point de départ intriguant, ce thriller d’épouvante résume les défaillances du cinéma de genre espagnol contemporain, qui se contente trop souvent de citer scolairement les grandes œuvres du patrimoine fantastique mondial. Il en résulte un art de technicien, certes talentueux, mais dénué de personnalité. Pour illustrer son récit, Morales cherche ainsi à rendre hommage à Hitchcock et Dario Argento en mixant faux-semblants, personnages doubles à la Vertigo (Julia et Sara sont interprétées par la même actrice), perte des sens et fétichisme pervers dans un style baroque fondé sur l’utilisation des couleurs et de la lumière. Malheureusement, le jeune cinéaste réalise une œuvre outrageusement maniériste, apparemment moderne, mais qui ne fait que ressasser maladroitement des dispositifs scénaristiques et esthétiques maintes fois utilisés. On assiste à un assemblage de plans qui enchainent les citations surlignées en gras, sans réelle volonté de les réinterpréter ou de réfléchir sur les matériaux utilisés. La forme n’est que pur effet – à l’image du méchant grand-guignolesque du film. Elle se résume à un jeu lassant sur les rebondissements outranciers et les sons horrifiques constamment exploités pour faire sursauter le spectateur. Ne souhaitant en aucun cas s’étendre sur le thème de la cécité, le film se borne à quelques idées de mise en scène, notamment pour représenter l’aveuglement de Julia : les personnages qu’elle côtoie sont filmés de dos avec leur visage situé en dehors du cadre. L’auteur use aussi d’emprunts aux graphismes et à la construction scénaristique de survival-horrors vidéoludiques, notamment la série des Silent Hill et son ambiance horrifique fondée sur le brouillard, les zones d’ombres, le clair-obscur, les sons stridents et les énigmes mystérieuses. Si la technique impressionne, l’ensemble fonctionne de façon trop mécanique.
Les Yeux de Julia est surtout gangréné par un paradoxe fatal qui lui fait perdre toute crédibilité : si le réalisateur s’efforce tout au long du métrage de jouer sur le hors-champ, il annihile son projet en nous jetant ponctuellement à la figure des morts violentes et autres visions cadavériques filmées frontalement, longuement et gratuitement. Une incohérence, qui ne semble pas avoir été pensée en amont. Morales se perd également dans une poésie morbide adolescente qui vire au ridicule dans un final tire-larmes digne des plus grands moments de niaiserie de Luc Besson. Le cinéaste, qui pensait nous émerveiller avec sa conclusion cosmique, nous achève à grands coups de pelle sur la tête. Ce choc peut aussi avoir pour effet de nous réveiller et de nous faire prendre réellement conscience des défauts d’une vague horrifique espagnole largement surestimée.