D’importantes séquelles ayant entraîné l’ennui… Parler d’une suite semble donner lieu aux sempiternels commentaires : « ce n’est pas aussi bien », « le réalisateur a voulu trop en faire », « c’est répétitif », « c’est la course à l’armement », « on ne retrouve pas le charme mystérieux du premier » et autres affirmations convenues. Hélas, on ne peut que répéter cela au sujet de la suite du surprenant [Rec] 1. Le film débute exactement au point où se terminait le premier opus, accentuant l’impression étrange et toujours désagréable, à la limite de l’imposture, que les deux films n’étaient qu’un et que pour les raisons commerciales habituelles, l’auteur, en l’occurrence les auteurs, ont sacrifié l’honnêteté artistique sur l’autel d’un faux renouvellement.
Cette habitude commence à devenir franchement énervante, comme si la notion de film unique, fermé, conclusif, habité par une tension narrative qui mène d’un début à une fin (rendez-nous Carpenter, Bava, Argento !) semblait échapper aux auteurs de films de genre, expression étrange qui recouvre les mots tabous pour une certaine critique de films d’horreur, films fantastiques. S’il vous plaît, messieurs les réalisateurs, aussi doués fussiez-vous, on ne jettera pas la pierre à Balagueró, auteur d’un des films d’horreur les plus fulgurants de ces dernières années, Darkness, cessez de créer des franchises qui empruntent aux jeux vidéo les scénarios les plus convenus et des situations qui n’ont de cesse de sombrer dans la banalité ! On sait bien que [Rec] faisait référence à Resident Evil, mais est-ce une raison pour nous entraîner à grande vitesse vers une série sans fin ? Certes, la série est parfois porteuse de chefs‑d’œuvre, Romero en atteste, mais qui dit série de films ne dit pas forcément série télévisée sur grand écran, soap-opéra sans fin, où la notion de cliffhanger finit par devenir navrante : regarder de telles œuvres est essentiellement consacré aux devinettes, dans le style « mais quel twist absurde nous a‑t-on réservé ?», sans aucune considération pour l’essence de ce genre de films – les films de genre – pourtant si magnifiquement illustrée par les précédentes œuvres de Balagueró, à savoir, la peur ?
Quoi de neuf, docteur ?
Car [Rec] 2 n’est autre que le prélude de [Rec] 3…
Rectifions ce jugement sévère – après tout Balagueró est un vrai cinéaste de l’horreur, ce n’est pas un faiseur de pellicules mainstream – [Rec] 2 souffre d’un traitement en deux parties qui rompt et le rythme et la progression narrative. Est-ce dû à la réalisation, fruit de deux auteurs ? Mystère, qui est sans doute le seul de tout le film.
En effet, Le film se veut démonstratif, explicatif, révélateur de l’énigme de l’épidémie qui crée des zombis : on saura tout, on verra tout, on comprendra tout. Le principe reste le même cependant, une caméra filme en direct les événements, dans une cage d’escalier et trois appartements, concept à l’origine exceptionnel : voilà du huis clos, de la tension au rendez-vous ! (depuis Polanski, on sait quelle terreur peut naître à l’évocation du voisin, du locataire dont on nous parle, et qui terré dans son appartement devient par là même autre, étranger, anormal). Souvenons-nous dans [Rec] des moments les plus tendus : les interviews successives des habitants par la journaliste, qui évoquent tantôt « la vieille femme à l’étage » ou « le vieux père laissé dans l’appartement », promesses indicibles de monstres tapis dans un couloir, prêts à surgir devant l’œil tremblant de la caméra. Point de tout cela dans la suite : aucune surprise, on revoit même la vieille femme, désormais devenue emblématique de [Rec], ce zombi verruqueux dont la photo a permis la promotion du film. On retrouve le père parti chercher des médicaments pour sa fille dans le premier opus, on a même droit à maman en pleine crise de zombitude… Et on gesticule toujours dans l’escalier, de cette façon incohérente, hélas déjà présente dans [Rec] 1, qui consiste pour les monstres à monter les marches de l’escalier de temps en temps seulement, quand la tension baisse à l’écran : de sacrés acteurs ces zombis, et finalement pas si affamés que cela, ils respectent les heures de repas…
Alors, où est la nouveauté ? Dans l’intrigue, que l’on aura soin de ne pas révéler (mais qui réservera sans doute une déception à ceux qui croyaient voir dans le film une sorte de 28 jours plus tard espagnol et qui auront la surprise d’assister à L’Exorciste… oups… on en a trop dit, et alors ?), et surtout dans le traitement de l’image, dans le cadrage, dans cette caméra et cette fonction qui donne son titre au film.
Le film, en un hommage appuyé à Aliens de Cameron, mais sans le détachement anti-militariste de ce dernier, nous met au cours de la première moitié (la plus réussie) en présence d’une SWAT Team, ambiance badass/son of a bitch/taste my fucking gun, équipe en liaison permanente à l’aide caméras numériques high-tech. Le tout en compagnie de la figure rémanente du cinéma d’horreur « le spécialiste mystérieux », qui, selon la loi du genre, attention, passage à réciter sur un ton monocorde et rapidement, « est détesté au début, et au bout de deux ou trois morts, se révèle seul à pouvoir contrer la menace grâce à ses connaissances occultes alors que les autres crétins auraient mieux fait de l’écouter sans hurler dans ses oreilles toutes les deux minutes, voire à détruire systématiquement les moyens défensifs qu’il proposait ».
Eh bien, c’est pareil dans [Rec] 2. Seule once d’originalité, les caméras embarquées qui nous permettent de revisiter le grenier de l’horreur du premier, mais en pleine lumière cette fois-ci, ce qui le transforme en grenier de foire. Au moins l’image est jolie, les caméras ont coûté cher, et elles ne tremblent pas trop…
Au contraire de la deuxième partie : celle qui permet de tirer un trait définitif sur le film. Suite à une panne, due à un quelconque coup de patte de zombi, nos chers bourrins quittent l’écran, et la focalisation se déporte (trahison du principe du film !) vers un groupe de jeunes adolescents (vous savez, ceux qu’on aime voir charcuter/disséquer/massacrer dans les films Z ?) tous plus idiots les uns que les autres, mention spéciale à la jeune fille qui dans le terme de scream queen n’a compris que le premier mot. On revient en arrière dans le temps (autre trahison !), ce qui permettra d’expliquer a posteriori une scène peu compréhensible de la première partie (tout ça pour ça…) concernant « papa parti chercher les médicaments ». Là, caméras et objectifs tremblent, se troublent, ont des distorsions, et on a mal au crâne : nous voici revenus dans Cloverfield, Blair Witch et autres films du même acabit. Le but ? Accélération, panique, terreur, mais voilà, cette terreur, comment peut-elle se communiquer dans un tel flou, dans une telle floraison de courses dans l’escalier (les marches doivent être usées…), de hurlements, de halètements insupportables, de portes claquées (le zombi est bête, il ne sait pas ouvrir une porte), de serrures fermées, de fenêtres approchées, cassées, et de mobilier endommagé (les réalisateurs n’aiment pas cet immeuble, et détestent la décoration intérieure) ?
Et la fin ? Là aussi, atroce déception : retour en arrière (explication de la fin du 1… sans commentaires…) et gâchis, gâchis d’une idée proprement lovecraftienne, une de ces idées que le Balagueró de Darkness avait su à l’époque exploiter : les ténèbres. Non pas l’obscurité des dernières minutes du 1, mais ces ténèbres innommables, palpables, qui ouvrent sur des dimensions inconnues. Pourquoi cela dure-t-il deux minutes ? Pourquoi une telle idée, tétanisante, ne donne-t-elle lieu qu’à des simagrées ?
Soupir…
Le jeu des références
Terminons cette revue rapide : Balagueró passe en revue des classiques, et au bout du compte, on est bien content, cela remet en tête des films que l’on aura plaisir d’aller voir à la place de [Rec] 2, ou pour se souvenir qu’il existe des œuvres authentiques de terreur cinématographique. Au hasard et dans le désordre, pour ne pas trop en dire tout de même (pardon de cette hypocrisie jésuite, mais la liste suivante permet de tout comprendre à l’intrigue) : Aliens, L’Exorciste, The Thing, The People Under the Stairs, 28 jours plus tard, Darkness, Evil Dead.
Un dernier paragraphe, toutefois : on ne critique que ceux que l’on apprécie, on n’est sévère que lorsqu’on est confronté à une œuvre qui ne témoigne pas du véritable sens créatif de son réalisateur. Balagueró est un réalisateur de films d’horreur unique en son genre. Il est un digne représentant de cette école espagnole si féconde (Del Toro, Cerda…), il l’a prouvé, avec Los Sin Nombre, Darkness. Mais à vouloir copier les maîtres, en intégrant ce second degré obligé que constitue la citation, il annihile son propos. [Rec] 2 est une déception comme a pu l’être Fragile (du même auteur) en son temps.
Souhaitons-lui, à l’instar de Sam Raimi, qui n’a jamais renoncé à sa personnalité (Jusqu’en enfer, le meilleur film d’horreur de l’année), de faire à nouveau du Balagueró.