Considéré comme l’enfant terrible du cinéma indépendant américain, Todd Solondz n’en finit plus d’ausculter les travers de la middle-class au pays de l’oncle Sam. Surfant sur les registres de l’hypocrisie et des espoirs déchus, il livre un film à la mécanique proprette, donnant ainsi la désagréable impression de tourner en rond.
Présenté comme une suite d’Happiness, réalisé en 1998 et Grand Prix de la critique internationale au festival de Cannes, Life During Wartime se situe quelques années plus tard. Cette fois-ci, Solondz a décidé de tourner avec des acteurs différents, se laissant ainsi libre de modifier l’âge de ses personnages de dix ou vingt ans. Justifiant ce choix par le besoin de représenter la métamorphose des personnages après les évènements traumatisants vécus dans Happiness, force est de constater que le casting de « gueules » de Life During Wartime semble tout droit issu du premier épisode. Les trois actrices (Shirley Henderson, Allison Janney et Ally Sheedy) qui interprètent les rôles principaux (des sœurs névrosées à des stades différents, prénommées Joy, Trish et Helen) ne font ni plus ni moins que leurs prédécesseurs, laissant finalement le sentiment d’un étrange copier/coller entre les deux films. À une exception près : Ciarán Hinds dans le rôle de Bill, ex-mari de Trish, pédophile sorti de prison, qui apporte une sombre présence fantomatique à son personnage, doublée d’une inquiétante épaisseur.
Le titre du film fait référence aux guerres menées par les États-Unis hors de leur territoire, tout en affichant une volonté de métaphoriser les luttes intestines qui se jouent dans la structure familiale. Le nerf de la guerre se situe ici, tous les films de Solondz cherchant à décortiquer de manière parfois caricaturale les moyens de se construire lorsque l’on se sent différent, à côté de la plaque, dans une société dont les voyants sont tournés vers la normalisation et l’uniformisation. Ce dernier opus n’échappe pas à la règle, et nous avons droit à tout un défilé de freaks : Bill, Joy conversant avec le fantôme de son ex, son compagnon pervers et drogué, Helen la scénariste névrosée et agressive exilée à Hollywood, une mère castratrice qui déteste les hommes… Tous sont en quête de rédemption, avec une propension à vouloir s’extirper désespérément de la marge pour rentrer dans le rang. Sans réussir, évidemment, à y parvenir, ce qui constitue le même refrain épuisant que Solondz nous martèle depuis des années.
De plus, il empêche toute empathie ou reconnaissance avec les personnages, en s’évertuant perpétuellement à s’éloigner d’un traitement réaliste des situations. Par la mise en scène tout d’abord : une telle précision soumise à la définition du cadre, un tel soin apporté aux éclairages provoque un étouffement certain et confine à l’artificialité, déteignant ainsi sur le jeu des acteurs. Les scènes semblent rodées comme du papier à musique, les effets calculés, à travers notamment une mise à distance par un humour sarcastique qui finit par agacer, faisant appel à la caricature facile (c’est bien connu, tous les enfants américains sont sous antidépresseurs), voire à la private joke (une pauvre blague sur Salman Rushdie que nous ne rapporterons pas ici). L’aspect factice du film est renforcé par l’utilisation d’une musique élégiaque, venant souligner l’idée qu’en surface tout semble calme (l’hypocrisie des sœurs entre elles, le refoulement des fantasmes pédophiles de Bill, les banlieues paisibles de Miami), et que le désordre est intérieur.
Comme si la caricature un peu lourde ne suffisait pas, Solondz en rajoute en choisissant d’aborder des sujets dits « sérieux ». Ainsi, la thématique du pardon fait son chemin à travers tout le film, en mélangeant divers registres : possible indulgence envers ce père qui rêve de petits garçons, bienveillance à l’égard d’un compagnon corrompu qui pourrait changer d’attitude, clémence et compréhension face à la douleur de ces terroristes désespérés qui viennent s’attaquer à la nation. Ces écarts de tons donnent le sentiment que Solondz arrive un peu après la bataille, en cherchant à accrocher le train des fictions post-11-Septembre, et ainsi mettre sur le même plan les guerres externes et internes du pays. Idée naïve et réductrice, voire opportuniste, dont le seul but semble de mettre en évidence une certaine acuité sadique dans la confrontation des personnages face à des situations peu enviables. Dans ces instants-là, on se met à penser que si Solondz arrêtait un jour de vouloir faire du cinéma malin, il ferait peut-être des films intelligents.