Dark Horse n’a rien de bien dépaysant pour qui a déjà vu ne serait-ce qu’un film de Todd Solondz. On y retrouve la sévère critique de l’American way of life que dégage le grotesque de sa mise en scène distanciée, ainsi que les personnages peu avenants et pas très équilibrés qui habitent à peu près tous ses films. Après un plan d’ouverture fantastique, plonger de nouveau dans l’univers de Solondz n’est pas franchement agréable et l’on sent naître la familière appréhension que le film ne soit qu’une farce vouée à tourner ses personnages en ridicule. En effet, on voit d’abord difficilement comment s’attacher à son personnage principal. Abe, trentenaire mais encore adolescent dans l’âme, vit toujours chez ses parents, travaille pour eux (enfin, prétend le faire) et conduit un Hummer jaune. C’est par la rencontre avec le personnage de Miranda (Selma Blair, parfaite) que le film s’ouvre, et c’est par elle que Solondz trouve le moyen de s’écarter d’une vision trop familière de la classe moyenne américaine. Présentée d’abord comme la brune dépressive de service, Miranda se met de temps en temps à bifurquer violemment de ce destin rectiligne et se dote ainsi de la chair qui manque souvent aux personnages de Solondz. C’est cette possibilité qu’il leur donne ici de dévier d’une route toute tracée, ou au moins de s’arrêter en route pour se demander où ils vont, qui fait de Dark Horse autre chose qu’une satire d’ailleurs moyennement drôle. Les retournements, s’ils sont souvent imaginaires d’un point de vue diégétique, n’en sont pas moins réels pour le spectateur ; Todd Solondz nous offre ainsi l’agréable impression que ses personnages sont autre chose que des insectes observés derrière une vitre. On en arrive même à éprouver une certaine empathie pour ce pauvre Abe, incapable de se mettre à distance des discours bêtifiants auxquels sa vie l’a exposé. À cette réussite viennent s’accoupler quelques idées de mise en scène quasi géniales – comme ce duel de regards entre Abe et son père et sa surprenante conclusion –, si bien que Dark Horse, s’il reste dans la veine d’un cinéma qui s’attaque à des cibles faciles par des moyens légèrement putassiers, finit par déborder suffisamment ce cadre pour se rendre digne d’intérêt.