Todd Solondz met en scène dans son dernier film une fugue aux accents doux-amers, celle d’Aviva, une adolescente désireuse d’être mère, et dont le chemin sera parsemé de drames et de rencontres. Solondz remanie ses thèmes de prédilection, l’originalité étant à chercher du côté du ton et du traitement. Palindromes est donc un film qui nous plonge encore un peu plus au cœur du mystère Solondz.
Le titre du dernier film de l’Américain Todd Solondz est parfaitement en accord avec son propos (on se souvient à l’inverse de l’ironie de Bienvenue dans l’âge ingrat (1996) ou encore d’Happiness (1997)): le palindrome donne donc son nom au film ainsi que sa structure au récit, un récit qui revient sur lui-même et qui peut se lire dans les deux sens, tout comme le prénom de son héroïne, Aviva.
Le réalisateur américain s’est donc livré à un exercice de style pour le moins original et novateur. Dans sa recherche formelle, Solondz va même jusqu’à utiliser huit actrices/acteurs différents pour incarner le personnage d’Aviva, au fil des différents chapitres de l’histoire. Il faut comprendre ces multiples incarnations non comme un témoin des changements qui s’opèrent en Aviva, mais plutôt comme une expression du caractère universel que revêt son aventure. Certes le procédé est un peu facile, car littéral, mais après tout il est plus agréable de se laisser prendre au jeu que de jouer les réfractaires à un peu d’audace.
Le message du film est simple et clair. Il est d’ailleurs prononcé par l’un des personnages à la fin du film, et évoque l’idée qu’on ne change pas, que quoi qu’il nous arrive au cours de notre vie, nous restons les mêmes. Pour Aviva, ce sera retour à la case départ, quelques rencontres et quelques mésaventures en plus. Alors, constat amer, ou philosophie de la vie ?
À en juger par les propos de Solondz lui-même, qui se défend d’être misanthrope, il faut comprendre le film comme un témoignage sur notre société et sur le comportement humain, sans manichéisme. Solondz ne cherche pas à dénoncer, mais juste à relater des faits, à montrer la vie telle qu’elle est. La vie, c’est une mère qui soutient admirablement sa fille dans la difficulté, mais qui reconnaît aussi qu’elle a elle-même avorté pour pouvoir offrir plus de vêtements et de bonbons à sa fille. C’est aussi un homme qui recueille chez lui des enfants abandonnés, mais qui envoie un homme tuer un avorteur. La bonté et le crime se côtoient au sein des mêmes familles, des mêmes personnages. Todd Solondz en brosse un portrait sans concessions, mais sans se dresser en juge, en restant un simple observateur de son temps.
La distance générale régnant sur les événements est frappante. Cette distance tient essentiellement à la dimension de conte que revêt le récit. Aussi bien dans sa structure, que dans sa mise en scène, le film s’apparente en effet à une sorte de conte moderne et cruel, qui appose comme un filtre sur les péripéties racontées. Le film est découpé en segments très nets assimilés à des chapitres de livre, qui sont introduits par un carton indiquant le nom d’un personnage important de la séquence. Ces segments sont par ailleurs séparés par des fondus au blanc ou au rose, variante peu usitée du fondu au noir, plongeant le film dans l’univers des contes pour enfants. La musique renforce encore cette impression, car il s’agit d’une mélodie douce et mélancolique, qui semble nous entraîner à l’intérieur de l’esprit d’Aviva.
Aviva, justement, est un parfait personnage de conte, une sorte d’Alice innocente des temps modernes, une jeune fille qui quitte sa famille suite à un avortement, et qui va rencontrer des personnages hauts en couleur. La plus emblématique est certainement Mama Sunshine, qui l’habillera en jeune héroïne de La Petite Maison dans la prairie. Comme dans un conte, la quête d’Aviva est caractérisée par une certaine solitude, comme l’indiquent les nombreux plans nous la montrant si petite au milieu de vastes étendues, ainsi que par le mouvement : que ce soit dans la voiture familiale, dans un camion, ou dans un petit bateau d’enfant, Aviva avance pour rattraper cette vie qui lui échappe. Malgré tout elle semble vivre dans un autre monde, comme nous l’indique sa musique intérieure et son regard sur le monde, souvent perdu.
Finalement, si le film surprend – et dérange – c’est moins par la nature des faits retracés que par la manière dont Solondz les filme. Il prend en effet un malin plaisir à mélanger gravité et légèreté, noirceur et humour, ce qui nous amène à rire de situations qui cachent une réalité plus grave. Ainsi, le plan cadrant Aviva et un jeune garçon sur le point de faire l’amour, avec en arrière-plan un mur entièrement recouvert de photos de playmates en bikini prête à sourire, et pourtant, Aviva n’a que douze ans, et va tomber enceinte ce jour-là. Dans le même ordre d’idées, le groupe des Sunshine Singers dégage une énergie peu commune et leurs couplets sur Jésus et sur l’amour de son prochain sont vraiment drôles, mais ces enfants sont avant tout des êtres qui ont été rejetés à cause de leur difformité, et qui forment ici une « monstrueuse parade » que n’aurait pas reniée Tod Browning.
Le problème est donc que le spectateur en viendrait presque à trouver tout cela normal, et à oublier que les thèmes abordés sont ici sérieux et pas du tout risibles. La provocation d’un Solondz qui semblait s’être assagi est donc pourtant bien réelle, et réside dans cette distance et dans ce rire, qui font planer sur le film une troublante ambiguïté.