Attaquer l’administration Bush alors qu’elle est encore au pouvoir : il fallait un réalisateur aussi financièrement indépendant que Robert Redford pour oser ça. Loin de céder aux sirènes du sensationnalisme à la Michael Moore, Lions et agneaux s’interroge avant tout sur la notion d’idéal dans la société occidentale actuelle. Cette approche sauve un film passablement académique des critiques réservées à tout film aussi ouvertement à thèse.
À l’approche des élections présidentielles, l’intelligentsia démocrate américaine fait feu de tout bois pour démonter le bilan de l’administration Bush. Aussi engagé que le Bobby d’Emilio Estevez (qui, sous couvert de suivre le dernier jour de Bobby Kennedy, tentait de décrypter l’idéalisme de gauche à l’américaine), Lions et agneaux est cependant plus pessimiste, moins idéaliste. La Maison Blanche lance une nouvelle offensive en Afghanistan, contre les talibans. À l’heure exacte du lancement de l’opération, le sénateur républicain Irving (Tom Cruise) reçoit la journaliste politique Janine Roth (Meryl Streep) pour lui présenter ce nouveau plan d’action. Dans le même temps, le professeur de philosophie politique Stephen Malley (Robert Redford) reçoit son élève favori dont l’absentéisme l’inquiète, alors que deux de ses meilleurs élèves font partie de l’offensive lancée par les États-Unis.
Lions et agneaux prend le parti de suivre ces trois récits en parallèle, presque en temps réel. Le procédé narratif est clair : il s’agit de comparer la rhétorique du politicien à la réalité sur le terrain ; l’idéalisme du professeur héritier de la période de la guerre du Viêt-Nam à celui de son élève, narquois et nihiliste, à celui de ses élèves partis sur le front. Si Redford sait y faire en terme de mise en scène, qu’il connaît le professionnalisme de son casting solide, sa narration n’échappe cependant pas à un académisme hollywoodien lourd et parfois pesant. Exempt de rythme réel, le film ne sait guère jouer du parallélisme de ses narrations, ménageant des transitions maladroites au discours naïf. Tout occupé qu’il est à poursuivre sa démonstration, Redford ne sait pas vraiment tirer parti de son expérience de cinéaste et d’acteur, ni d’un budget manifestement conséquent. En résulte un film très et trop écrit, bavard, et qui, s’il évite l’écueil de sur-dramatiser ses séquences d’action en Afghanistan, ne parvient pas à trouver un juste milieu entre un récit passablement putassier à la Chute du Faucon Noir et une démonstration trop intellectualisée.
Car c’est la défaite intellectuelle qui sous tend tout Lions et agneaux. Le personnage du sénateur est évidemment la figure autosatisfaite d’une classe politique cynique et rompue aux ficelles de la manipulation médiatique – qui fait autant écho aux méthodes de l’administration Bush qu’à celle de l’équipe de Sarkozy ou de Tony Blair. Mais cette critique adressée par Redford et son scénariste Matthew Michael Carnahan n’est certainement pas le centre du film. La journaliste incarnée par Meryl Streep et le professeur joué par Redford, deux figures de la perte de l’idéal, sont véritablement le cœur d’un film qui se pose en analyse de l’échec des idéaux des héritiers de la contestation intellectuelle post-Vietnam. La figure romanesque du journaliste défendant la liberté d’expression et d’analyse et celle du professeur inculquant les arcanes de la réflexion politique sont présentées comme finalement conscientes de leur propre vacuité, tout juste bonnes à supplier une nouvelle génération tellement pétrie de cynisme qu’elle ne tient plus à défendre un quelconque idéalisme. La prise de conscience aura-t-elle lieu ? Redford ne répond pas, et son film se clôt surtout sur l’impression de voir dans le personnage de l’acteur-réalisateur une forme introspective forte, celle d’un regard porté sur son passé et ses accomplissements par un homme de gauche qui doute de ses réussites.
Une fois passé l’agacement produit par une forme terriblement académique, Lions et agneaux s’avère donc être une réflexion plutôt juste par un acteur de la scène artistique politiquement engagé sur ses propres possibilités. Le cinéaste Redford se voit-il en professeur plein de désillusions, mais toujours prompt à espérer dans la capacité des jeunes générations à reprendre le flambeau du combat intellectuel ? Certainement. Il est bien dommage qu’une telle idée, finalement si humble, ne soit pas servie par une forme qui eût vraiment gagné à posséder une véritable identité.