L’histoire fait quelque peu frissonner. Jojo, dix ans, fils d’un père instable, parfois violent, et d’une mère absente, trouve un oisillon et en fait son compagnon ; il le nourrit, l’élève et traverse avec lui les épreuves de l’enfance. On craint le film de Noël un peu en avance, la fable facile et mièvre sur l’innocence, la pureté du lien homme-animal, et tout l’outillage habituel du tire-larmes jeune public. À cela s’ajoute cette idée très britannique (Dickens, Dahl, Rowling…) de l’enfant-héros perdu dans les décadences crasses de la classe dominée, cette créature angélique, illuminée d’on-ne-sait-où, pleine d’une brûlante et sensible envie de s’échapper. Le cocktail joue cartes sous table, camouflé par une facture white trash qui ne trompe personne – et qui, elle aussi, suscite son lot de craintes. Mais ces inquiétudes sont exagérées.
Même s’il y a effectivement un peu de tout cela dans Little Bird, qui flirte toujours dangereusement avec son côté Disney, la balance est toujours rééquilibrée. Le film est tiraillé entre deux extrêmes : la fable mignarde (le choucas volette autour de l’enfant à vélo sur fond de country-folk), le réalisme misérabiliste (Jojo-Cosette fait la bonniche pour son père violent et alcoolique). Il oscille, tangue, et séduit quand il trouve son équilibre, sa nuance. Cette nuance, c’est souvent le choix juste de faire l’oiseau non pas un compagnon littéralement tombé du ciel (et l’humaniser, lui prêter des sentiments, le « disneyiser » en somme) mais, bien plus modestement, un précieux outil de développement personnel pour le fragile Jojo. Le film s’intéresse finalement beaucoup moins à Kauw (la corneille tombée du nid) qu’à ce que l’enfant projette sur lui, et à travers lui sur sa propre vie : ainsi s’acharne-t-il, « comme le choucas », à être fort et courageux pour gagner le respect des autres mâles, trouver la meilleure place, la meilleure femelle (sic). C’est, pour lui, une idylle avec une voisine hors norme, coincée dans un corps préadolescent disproportionné, aux faux airs de Kristen Stewart – la plus belle apparition du film, sans doute. En tout cas, bon an mal an, Little Bird pérégrine ainsi sur d’autres routes et s’égare loin de l’apologue poético-réaliste qui lui était tout tracé.
Disons que le premier long-métrage de Boudewijn Koole est confusément autre chose. S’il est clair que le film parvient à ne pas être ce qu’on pourrait redouter, il sort de ces pièges sans vraiment prendre une direction. L’ambition symbolique et élégiaque est indéniable : la caméra expulse et esthétise névroses et angoisses, noyées dans l’eau chlorée de la piscine où Jojo excelle au water-polo, crachées depuis le pont d’autoroute sous lequel la Lada paternelle vrombit chaque matin, drapées dans la couette qu’il fait voler dans le jardin… Koole met tout en œuvre pour baigner son film dans un climat de distance poétique avec cette enfance, ces brutales vérités, ce baptême du deuil. Arrêts sur image, ralentis métaphoriques et autres pauses contemplatives tiraillent le film entre authentique poésie et tapage artistaillant. Chez ces presque déjà adultes, livrés à eux-mêmes dans une morne banlieue, rassemblés par l’eau de la piscine, on flairerait des ressemblances avec notre Naissance des pieuvres, la cohésion et le liant plastique en moins. Reste que Little Bird, faute de s’embourber dans toutes formes de lourdeur, gesticule, trouve ponctuellement ses marques, mais peine à s’envoler.